Chapitre 2. Les derniers jours des sourds (Impromptus littéraires et agenda ironique octobrien)

Les derniers jours des sourds[1]

Le chapitre 1 est ici

Chapitre 2

  • Richaarrrd, apportez-moi de suite trois cafés, de l’ultra noir, c’est clair ? Elle m’emmerde, vous dis-je, la vieille ! Comtesse ou pas comtesse, je vais te la fourguer au placard, moi vite fait, bien fait et à triple tour.
  • Bien, Monsieur le Commissaire, sans sucre et avec un nuage de lait, comme d’habitude. Dites, vous croyez qu’on va réussir à la coincer ?
  • Il ne sera pas dit qu’elle aura le dernier mot, croyez-moi, j’en ai maté plus d’une. Et ce n’est pas parce qu’elle a le sang orange ou vert pâle qu’elle va m’avoir comme un bleu ! On reprend dans une demi-heure, j’ai besoin d’une pause !

Pendant que la comtesse sirote son thé chaud, le Commissaire sort et s’aère les neurones par un tour du pâté de maisons en courant, vingt pompes dans son bureau et, ce que sa femme lui a conseillé, trente respirations pour détendre son plexus solaire largement sous tension. Puis il se dirige lentement, mais fermement, vers la porte de la salle d’interrogatoire qu’il ouvre brusquement, la mine sombre, trois nouvelles rides sur le front.

  • Chère Madame, reprenons, voulez-vous. Vous ne voulez toujours pas d’avocat ? Non, vous n’avez rien à cacher. C’est ce que nous allons voir. Vous vous êtes mariée il y a donc 63 ans à Ludovic de la Moinette qui, deux ans plus tard, disparaissait dans des circonstances obscures et dont le corps n’a jamais été retrouvé, comme c’est commode, vous laissant la disponibilité de tous ses biens, d’un élevage de pur-sang et de ses trois châteaux, c’est bien ça ?
  • De ses plats bateaux ? il en avait deux bien gros ! Un si bel homme, et fort comme Artaban, qui était d’ailleurs le nom de notre premier étalon qui a remporté à six reprises le prix de l’Arc de triomphe, monté par Duridan, un jockey exceptionnel que j’ai moi-même essayé, on ne saurait être trop prudente en ce qui concerne la monte et la tenue des rennes, comme disait notre père Noël, pas plus tard qu’en décembre dernier.
  • Ensuite, deux ans plus tard, vous épousez Bernardin Benjamen, riche banquier qui, neuf mois après votre mariage, s’envole pour Acapulco et dont l’avion s’écrase en plein océan, ce qui vous laisse encore plus riche, des parts dans différentes sociétés, des obligations, des bons d’état, un portefeuille plus que confortable et de quoi voir venir pour les siècles des siècles.
  • Amen, mon pauvre BB, un joli garçon et très généreux, il n’a guère eu le temps de m’offrir plus que ce qu’il ne m’a laissé, hélas, vous avez là des informations de première main, cher Commissaire, on ne pourra pas arguer du fait que la police est mal informée, si, si, je vous félicite, c’est une longue suite de malheurs que ma vie ! on nait bien peu de choses et mon amie Rose me l’a encore dit hier matin. À ce propos, mon troisième mari, Ernest von Karajan, Dieu ait son âme, m’avait consultée plusieurs fois à propos de son médecin qu’il soupçonnait d’en vouloir à sa fortune. L’empoisonnement n’a jamais été prouvé même si les soupçons se sont orientés à l’époque vers cet être inconsistant, quasi aussi transparent et aussi toxique que le gaz moutarde et ses propres flatulences, si vous le permettez, le pauvre, mais surtout pas un mot à ce sujet, il est des secrets inavouables, n’est-ce pas Commissaire ?
  • Un empoisonnement lucratif, car il était aussi fortuné que vos deux premiers maris, mais bien moins que le quatrième, l’Aga Sultan Khan qui battait à plate couture tous les autres avec ses puits de pétrole, palais, diamants, hôtels de luxe, mais une vie bien courte tout comme sa mort, aussi inquiétante que celle des autres, une crise cardiaque au plumard dans le feu de l’action !
  • À califourchon ? Comme vous y allez, nous étions très inventifs, il est vrai, comme les récits de Shéhérazade dont il était le descendant direct, Cézame ouvre-toi, et j’ouvrais, j’ouvrais, sans piper mot et qui ne dit mot qu’on sente, avec ou sans parfums capiteux d’orient, comme les rois mages en Galilée suivaient des yeux l’étoile du crémier, motte de beurre, beurre de cacahouète et une belle pirouette , très petit homme, mais grand par la taille de … si vous voyez ce que je veux dire contrairement au cinquième qui avait un tout petit z… et un gros but dans la vie, faire le bien, si tout le monde pouvait en dire autant.
  • Gérard Homer Junior, troisième du nom, homme d’affaires, trader international, pointure du monde de la finance et des dessous de table, mécène aussi, c’est sûr, tué par inadvertance lors d’un match de golf d’une balle en pleine tête dont on ignore encore la provenance, mais vous étiez présente ce jour-là, chère Madame, lors de ce tournoi par équipe et vous êtes plus que douée dans ce que certains considèrent, laissez-moi rigoler dans ma moustache, comme un sport !
  • Un ténor ?  Certainement pas, plutôt basse, je vous le certifie, et les funérailles furent grandioses, Pavavotti, Domingo, Carréd’as, le gratin, la fine fleur des hauts de hurlements, comme nous disions entre nous, un bien beau roman aussi, vous l’avez lu ? et une vraie galère que le destin de, comment s’appelait-elle déjà, Daphné du Maurier ? mais je préfère la comtesse de Ségur née Rostopchine, une lointaine parente de notre illustre famille, Les malheurs d’un âne et Les mémoires du général Dourakine, un peu comme le mien finalement, romantique, puissant, plein d’imprévu, étendu sur la lande, alors que le chien des Baskerville vient de faire une troisième victime, vous aimez aussi, j’en suis bien certaine, très cher Commissaire, ces vaudevilles de science-fiction qui nous entrainent sur les sentes inconnues des broussailles écossaises battues par les vents du nord alors que mes cheveux emmêlés et ma robe ébouriffante…
  • Richarrrrrrrrrd, un café en vitesse !

Ceci est la suite palpitante d’un suspense débuté comme il se doit par le chapitre un de la semaine dernière (défi lancé par Les impromptus littéraires) et dans la continuité de l’agenda ironique octobrien de Jacou33.

L’agenda ironique d’octobre 2015 sera octobrien ou pas

by jacou33 ; https://jacou33.wordpress.com/category/agenda-ironique-2/

Les impromptus littéraires  : ici

 

A propos Anne de Louvain-la-Neuve

Anne d'un nulle part, ailleurs ici ou là, entre réel et imaginaire.
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17 commentaires pour Chapitre 2. Les derniers jours des sourds (Impromptus littéraires et agenda ironique octobrien)

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  2. Leodamgan dit :

    En tout cas, moi, en tant que femme, je me sens très zen devant cette nonagénaire mangeuse d’hommes. A moins que, sur le tard,elle ne vire lof pour lof? Brrr…!!! 😉

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  3. Valentyne dit :

    Café con calvados pour moi svp 🙂
    Pauvre commissaire , il n’est pas arrivé à la coincer la mamie 🙂

    Elle est beaucoup trop forte ….

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    • Et il ne la coincera pas, je le garantis. Elle mourra juste avant son centième anniversaire mais après avoir épousé le duc de Volkswagensschtadt encore très riche pour son âge et qui venait justement de disparaitre dans des circonstances mystérieuses sur son yacht. Ho, là, là ! Le café arrive.

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  4. monesille dit :

    Dure de la feuille mais pas du porte feuille ! et très ouverte visiblement à toute autre pénétration que le son, on attend donc le son d’une autre cloche avant d’aller se la taper (la cloche !)
    Commissaire pour moi ce sera un thé si ce n’est pas trop demander !

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  5. jobougon dit :

    Ouh la la ! Comment l’enquête du commissaire « dont on ne sait pas le nom » n’est pas un long fleuve tranquille. Cette petite dame serait une Landru au féminin mais en tellement plus subtile…
    Brrrhhh, ça fait froid dans le dos toute cette affaire.
    Richaaaaard ! Un café pour moi aussi SVP ! 😀

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  8. jacou33 dit :

    La comtesse quoique sourde, a du souffle. Qu’en est-il de son prochain mari?
    A moins que la prochaine victime ne soit le commissaire!

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