Chapitre 1. Les derniers jours des sourds (Impromptus littéraires et Agenda ironique d’octobre)

Les derniers jours des sourds[1]

Photo sous licence Creative Commons, d’après FlickR

Chapitre 1

C’est précisément ce soir-là que j’ai mangé au café Jean Valjean à côté d’un groupe de touristes très bruyants aux intonations plus fortes que le Roquefort société qui décape, drapeau américain sur leur sac en bannière,  ce n’est pas parce que je suis sourde comme un pot que je n’y comprends rien, je m’en souviens parfaitement, Monsieur le Commissaire, parce que, voyez-vous, ça me connait, j’ai voyagé intra- et extra-muros, je suis peut-être une vieille toupie pour certains, mais je ne suis pas gâteuse et si vous me permettez une légère digression, c’était une belle fin de journée d’automne froide, sèche, comme il n’en existe qu’ici, alors que là-bas, on l’appelle l’été indien, mais c’était tout simplement le nôtre, comme disait Brassens, excusez-moi Commissaire, je prends la tangente, c’est l’âge, combien me donnez-vous ? j’ai 96 ans, toute mouillée, des pieds à la tête, avec toutes mes dents, parfaitement, que je retire quand je veux et où je veux, je peux vous le prouver derechef, non ? ce n’est pas la peine ? c’est comme vous préférez, mais  croyez-moi sur parole,  je sais bien que je ne les fais pas, mais le passé est derrière moi, hélas, généralement, je parais 15 ans de moins, qui n’est pas l’âge de mes artères dont je fus opérée en 1952, multiple pontage coronarien, un très bon médecin que ma cousine Doris m’avait recommandé, vu qu’elle-même avait eu affaire à ses mains expertes, mais à Bruxelles, tandis que moi je désirais rester tout près de la maison, car ailleurs ce n’est pas forcément plus vert, surtout, vous l’aurez remarqué, qu’il n’y a plus de saison, le réchauffement climatique n’est pas une fiction, la preuve, le soleil brillait de mille feux sur notre place Victor Hugo qui avait émigré à Bruxelles aussi, comme mon oncle par alliance,  en 1851 le saviez-vous,  il venait de publier cette phrase que nous connaissons tous, n’est-ce pas, Commissaire,  « ce siècle avait deux ans, oh Catilina, oh mores » surtout les commissaires de police !  et tenez-vous bien coïncidence incroyable,  ma voisine de pallier, celle du 364B, car j’ai déménagé comme mon dossier l’indique certainement pour un appartement, s’appelle Joséphine, que dites-vous ? parlez plus fort, voyons,  revenons à nos moutons, (ah, ces jeunes toujours pressés) alors, si je me souviens bien,  Monsieur le Commissaire, les touristes avaient commandé les plats les plus traditionnels qui soient, ils n’ont aucune imagination, c’est très connu, il faut dire que le cuisinier les prépare admirablement les boulets sauce lapin qui ont le succès qu’ils méritent bien que personnellement, j’y insère un peu moins de sirop de liège et davantage de pain d’épice, tout est une question de dosage finalement même si  les traditionnelles boulettes sauce tomate qui changent des éternelles moules frites au vin blanc, mettez un peu plus d’ail que dans votre recette habituelle, et vous m’en direz des nouvelles,  ont davantage la cote, mais voulez-vous  mon avis ? vous ne le voulez pas ? tant pis pour vous, il y a des leçons qui se perdent de nos jours, quelle était donc votre demande à mon arrivée en vos locaux, très sympathique d’ailleurs cette petite jeune fille à l’accueil et polie avec ça, lorsque le camion rouge des premiers secours est arrivé par l’avenue Misérable,  on a vu descendre les pompiers en uniforme avec civière, bidon d’oxygène et tout le tralala suivis par votre armada, pistolet au poing, kalachnikov en bandoulière, vous n’en feriez pas un petit peu trop ? on se serait cru dans Magnum ou était-ce Les rues de San Francisco, vous vous rappelez Telly Savalas, non ? un brillant acteur tout de même, mais à la réflexion, ça devait être dans un autre feuilleton, ah, c’était quelque chose les séries d’antan, il y a avait de grands films alors, vous vous souvenez de La Marquise des anges, avec Marina Vlady, tout compte fait, je me demande si c’était elle, je perds un peu la mémoire,  et ils se sont engouffrés dans le café, je ne m’y attendais pas du tout, j’ai failli avoir une crise cardiaque, un peu comme celle de ma cousine Doris dont je vous parlais tout à l’heure et qui a eu cinq enfants, dont un justement à la police d’Etterbeek, que vous connaissez peut-être, Monsieur le Commissaire, Johnny Lampion, ça vous dit quelque chose ?

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Le chapitre 2 est ici

L’agenda ironique d’octobre 2015 sera octobrien ou pas

by jacou33

Et Les impromptus littéraires avaient proposé cette semaine de commencer le premier chapitre d’un livre avec l’une des quatre couvertures imposées et j’ai choisi celle-là. Voici le site de ce blog dont le thème change toutes les semaines ici

Et les textes de l’agenda ironique octobrien de Jacou, c’est ici : https://jacou33.wordpress.com/category/agenda-ironique-2/

 

A propos Anne de Louvain-la-Neuve

Anne d'un nulle part, ailleurs ici ou là, entre réel et imaginaire.
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31 commentaires pour Chapitre 1. Les derniers jours des sourds (Impromptus littéraires et Agenda ironique d’octobre)

  1. Valentyne dit :

    J’ai comme un trou de mémoire … L’été indien c’était pas plutôt un certain Dodo Dassin le chanteur ?
    Ceci dit quel souffle cette mamie ! Le commissaire a bien du boulot si tous ses témoins sont comme elle 🙂

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  2. Leodamgan dit :

    Je me suis forcée à lire lentement pour mieux apprécier.
    J’ai adoré « oh Catilina, oh mores »!
    C’est qu’elle avait presque bon, cette jeune femme de 96 printemps…

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    • Elle est très intelligente et pour brouiller les pistes, que ne ferait-elle pas… Merci Leo (est-ce que c’est comme cela qu’on doit vous appeler ou par le mot entier ?) d’avoir lu lentement car si le rythme est soutenu, l’intention cachée est subtile. Ah, ces vieux !

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  4. monesille dit :

    Sans rire quelle causette !))))))))))

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  5. etienne Hachez dit :

    Quelle logorrhée ! Bien meilleure à mon avis qu’une simple dia…

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  6. Donc si je comprends bien, Doris a mis un enfant au monde à la police d’Etterbeek, c’est pas anodin çà comme maternité… Avec les flics pour prendre sa « déposition » justement et les escrocs pour la lui voler, qu’est-il advenu de cet enfant ? 😉
    Bisesssss

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  7. Ping : Au risque de revivre une telle situation | L'impermanence n'est pas un rêve

  8. jacou33 dit :

    Mais pas du tout! Mathusalem n’avait pas effrangé sa barbe! Il la portait longue, si longue, que tous les peignes de la Terre, s’y étaient cassé les dents.

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  9. Rx Bodo dit :

    Elle n’a pas la langue dans sa poche, la mémé. C’est joliement débité tout ça. Quel sens du rythme vous avez.

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  10. Ping : Agenda ironique octobrien, journal, demandez les nouvelles. | Les mots autographes

  11. jobougon dit :

    Bendidonque ! Elle est restée vivante la p’tite dame de 96 ans toute mouillée !
    Le commissaire, il attendait un témoignage, il a eu droit au vidage du sac complet.
    Au fait, l’enquête, elle progresse ? Car visiblement, il y a crime de surdité et de retrait d’appareil dentaire illicite ! J’ai bien cru défaillir à la scène de toutes ses dents.
    On s’est donné quelques jours de répits avant d’écrire, on dirait bien que ça a produit son effet…

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  12. Ping : Agenda ironique octobrien, les textes. | Les mots autographes

  13. Un texte assourdissant !

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  14. jacou33 dit :

    J’ai lu tout d’une traite, et suis très essoufflée, vu mon grand âge et que née avec un souffle au coeur, commissaire, faudra dorénavant demander à votre secrétaire de taper les rapports des témoins en mettant des points, à moins que, c’est connu, dans la police, votre matériel, datant de Mathusalem, tout comme mon bureau de juge, à moins que, donc, la touche des points de la machine à écrire de cette dernière, ne soit coincée, et comme je sais que dans les administrations, une fois la demande annuelle de fonds déposée, impossible d’obtenir un supplément, soit à attendre le vote du prochain budget.

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