Voici un voyage plein d’imprévus dans les Carpates, le pays des vampires et des montagnes mystérieuses et puissantes pour les nostalgiques des grands romans du 19e s., des Balzac, Flaubert et autres Rouge et Noir ?
Le comte Korvanyi décide un beau matin d’aller s’occuper un peu de ses terres bien éloignées, de ses deux châteaux adjacents, le noir et le blanc, de ses serfs, de ses possessions, de ses bois, de son personnel, bref, en maitre absolu, des biens qu’il possède sur une terre qui est à lui. Il prend le chemin de la Transylvanie abandonnée par ses ancêtres 50 ans auparavant suite à la rébellion des serfs. Il est accompagné de quelques domestiques et de sa nouvelle et autrichienne épouse.
Le décor est planté, les marionnettes sont positionnées, chacun jouera un rôle précis que lui dicteront sa condition, sa naissance, son éducation (ou non) mais aussi son histoire dans la grande Histoire. Le drame se met en place au travers une ample et belle narration descriptive et psychologique où le narrateur, personnage omniscient, vous guide dans ce dédale historique, politique et social si complexe. Magyars, Valaques et Saxons, tsiganes et contrebandiers, tous sont obligés de cohabiter les uns à côté des autres, de se supporter parfois, de se haïr souvent, de se soutenir de temps en temps. Quelques incidents vont déséquilibrer et enflammer ce si fragile édifice à cheval sur les croyances féodales que certains pensent inébranlables. Tous sont les esclaves d’un système de castes, prisonniers de lois anciennes et hiérarchiques ou d’attitudes héritées du passé qui fixent le rang et la condition sociale.
Ce récit traite de la liberté qui existe si peu ou si mal, de l’amour dont le terme est polymorphe, des entraves, des grands espaces, de la nature et de l’humain. Pas le moins du monde ennuyeux, c’est un vrai roman dans le plus pur style du genre que les amateurs de belles phrases claires et bien construites apparentent à un certain classicisme pas forcément obsolète. Récompensé par le prix Interallié 2014, son seul inconvénient est qu’il est lourd (700 pages de beau papier) et comme j’aime lire dans mon lit, la tendinite me guette. Ou bien je passe à l’e-book, mais jusqu’ici, je tiens bon.