Jane Gardam, trilogie « Les orphelins du Raj ». Le maitre des apparences, Le choix de Betty, L’éternel rival.

L’idée même d’une trilogie me fait frémir. Partager mon lit avec une foule de personnages dans des décors étrangers pour vivre des aventures qui ne seront jamais les miennes et ceci, pendant un temps certain, c’est excitant comme un premier rendez-vous de tous les possibles. C’est totalement délicieux et ça ne fait pas grossir.

Dans ma bibliothèque ce soir-là, veuve du précédent bouquin passionnant qui datait et dont je ne me souvenais même plus, en colère contre ceux qui n’avaient pu capter mon attention, je saisis Le maitre des apparences d’une auteure qui ne pouvait être qu’anglaise avec un nom pareil, Jane Gardam. Moi qui fuis les 4e de couverture comme la peste, j’en lus suffisamment pour me convaincre de le commencer puisqu’il s’agissait du premier volume d’une trilogie.

Je ne fus jamais déçue jusqu’au 3e.

Le premier volume parcourt toute une époque, celle de l’Angleterre des colonies de Hong Kong au travers la vie d’un des « orphelins du Raj ». Quoi qu’est-ce ? Cette expression, on finit par s’en faire une idée d’abord avant de pouvoir la définir. Sir Edward Feather, le vieux Filth, avocat connu et reconnu, juge intègre à la réputation sans taches, riche et admiré par ses pairs, en fut un. Fils de coloniaux anglais en Malaisie, il est renvoyé tout jeune en Angleterre pour y être élevé loin de son père et de ses attaches de petit garçon envers les braves gens qui l’élèvent, sa mère étant morte en couches. On se fait vite une idée de ces Anglais qui se séparent de leurs enfants puisque le risque d’être emporté par une maladie véhiculée par les indigènes est plus important pour eux que celui de perdre tout lien avec sa progéniture. Le petit Edward est ainsi placé au petit bonheur la malchance dans une « famille » qui n’en porte que le nom : la maltraitance y règne en maitre, tout contact avec son père, si tant est qu’il en eût jamais, se perd définitivement. Il lui faudra de la force, du courage pour créer sa vie, la mettre en scène, la forger de toutes pièces. Il rencontre une femme en qui il voit l’amour et des obstacles contre lesquels il se heurte et qu’il contourne en impeccable anglais qu’il est pour lequel les apparences sont si importantes à sauvegarder.

Le deuxième volume laisse la place à la femme du vieux Filth. Le choix de Betty nous plonge dans les arcanes de la psychologie d’une femme en cette fin du XXe siècle. Elle connait d’abord l’emprisonnement au Japon, la mort de ses proches, et se construit peu à peu, elle aussi, son propre destin au travers la grande Histoire et les « valeurs » sociétales de son époque et de son pays. Elle s’oblige à des choix et des renoncements sans appel. C’est ainsi qu’on devient l’héroïne d’un roman et celle de son époux comme de son amant.

L’éternel rival est pour moi le moins réussi des trois tomes : j’aurais aimé un centrage plus complet sur la vie et la psychologie de Sir Terrence Veneering, l’unique concurrent d’affaires et de cœur de Sir Edward. Les personnages secondaires des deux premiers tomes y ont à mon sens un peu trop de place. Cependant, ils éclairent également comme dans les feuilletons anglais les personnages principaux par leurs rôles impeccablement britishs dans des décors Laura Ashley dont on ne se lasse pas. Vraiment, les Anglais sont si exotiques, insupportables, et passionnants.