J’emploiera à dessein le terme « auteure » qu’on affectionne au Québec pour oublier le terme « autrice » bien-aimé en Suisse. Voilà donc en somme une conteuse qui sait raconter des histoires tout simplement et sans chichis, sans grand style mais pas sans style non plus. Douée d’une écriture efficace, Tracy Chevalier entraine le lecteur au rythme tranquille mais néanmoins soutenu de ses histoires où la grande a toujours son mot à dire.
Elle est surtout connue pour avoir inventé la genèse du tableau La jeune fille à la perle de Vermeer de Delft. Dans La dame à la licorne, elle invente le contexte qui a présidé à la création des six splendides tapisseries du 15e-16e s. éponymes. La dernière fugitive nous plonge dans le monde des Quakers et de leurs coutumes (la confection des patchworks notamment, des cultes de silence). Certaines communautés Quakers ont été membres du réseau clandestin de passage des esclaves noirs venant des plantations du Sud vers le Canada. Le récit est à plusieurs voix dans Le récital des anges qui se déroule au début du 20e s. dans deux familles dont les deux filles partagent une amitié chaotique. Au travers des différents portraits, on discerne l’évolution de la société et de l’image de la femme en Grande-Bretagne. Une des mères prend le parti des suffragettes militantes actives du droit de vote des femmes tandis que l’autre représente le passé et la stabilité de traditions sclérosées.
Dans A l’orée du verger, nous partons à nouveau sur les traces d’une famille. Ce sont des colons qui ont quitté l’Angleterre pour l’Amérique, le pays des rêves et des possibles ! Mais voilà, quand tous les choix posés se révèlent nuls, c’est sans espoir. Ainsi, le père a mal choisi sa femme qui n’aurait pas dû se marier avec ce type qu’elle méprise et à deux, ils s’enferrent dans les plus mauvaises options de vie et d’abord celle de l’emplacement des terrains sur lesquels ils comptent faire pousser des pommiers. La terre qu’ils acquièrent est un marais sur lequel rien ne pousse, surtout pas leur avenir. Je n’en dis pas plus, j’éventerais le suspense : fin de la première partie.
La deuxième partie s’ouvre sur les lettres du petit dernier de la fratrie. Changement de ton, changement de style, on bascule dans un autre récit. La vie est dure mais contrairement à ses parents, le garçon refuse la fatalité. Il cherche son propre chemin et ce qui l’anime dans la vie. La découverte des arbres referme la boucle de son parcours en le reliant à son enfance pour le faire définitivement basculer vers une vie d’homme responsable. Mêlant à nouveaux des éléments historiques à sa trame narrative, Tracy Chevalier m’entraine dans ses univers aussi sûrement que le sucre fond dans un café !