L’Alea qui ne jacte pas, une enquête foireuse de Sibelius sous le tropique du Capricorne

C’est précisément à Koupiak, ville jumelée avec son homophone française non homographe, Coupiac, là-bas au bas du Piton des Neiges sur l’île de la Réunion, que Sibelius terminait une enquête qui avait failli ne jamais exister puisqu’elle n’existait pas.

Entre le premier et le deuxième ponch au café Maëva Verlaine à 4 h56 du matin, il s’affala sur sa chaise colorée et un peu bancale, les doigts croisés autour de son verre. Sa tête chauve de moine à bure s’affala d’un coup sur la table alors que ses lèvres esquissaient un nunc et bibendum  de fin de parcours sous l’œil fardé de la propriétaire à robe elle aussi, qui le couvait d’un air protecteur et légèrement maternel. Il sombra dans les bras de Morphée, le seul que sa condition monastique autorisait dans ce cas précis.

Tout ça à cause de Flanagan Johnson  et de sa poursuite infernale  d’un bécasseau à poil et à vapeur qu’il filait ad libitum. L’île de la Réunion avait été choisie justement à cause de ce nom propice aux filatures zoologico-créoles.  Sibelius se fiait à son intuition de laquelle découlait obligatoirement la déduction, quod erat demonstrandum, susurrait-il à ses clients.

Ingrid, la très souple secrétaire de Flanagan et Laïonel Messaïe, l’encore plus souple secrétaire de Sibelius, avaient fixé rendez-vous à leurs patrons respectifs dans le cadre pour Sibelius de cette nouvelle mission impossible : Aux aurores- patron minet – super tôt – 5 A.M. chez M.V. – no micro, no flingue, no guns, no chewing-gums. Venir seul.

Le café de Maëva Verlaine était réputé tant pour sa gastronomie que pour le parfum légèrement sulfureux tel le fumet qui parfois échappait au volcan du Piton digérant ses années d’inaction.  Bien évidemment, c’était un faux nom, pas celui du volcan, mais de Maëva !  En réalité vraie, elle était née Maurice Lesac, rue du Presbytère à Coupiac, tout en bas du château écrasant qui dominait la ville de ses pierres lourdes et grises, avec ses ailes en potence, termes historiquement attestés et pessimistement vécus, et de ses tours de guet à mâchicoulis désormais inoffensives mais pas sans conséquences sur le moral des troupes. De quoi vous gâcher à tout jamais toute idée d’envol et d’ambition.

Ses parents, les Thénardia, cousins d’une vieille famille française de la restauration, tenaient ce petit café miteux où soirs après soirs, les habitués venaient soigner dans le schnaps leurs coliques et autres tensions intestinales. Maurice avait grandi dans cette ambiance alcoolisée et délétère entre jurons et coups de savates. Vous savez ce que c’est : on l’a lu chez Zola comme le rappelait très bien le curé Paresseux  lors de son sermon de dimanche dernier.

Alors, Maurice avait gagné Paris à toutes jambes un soir plus glauque que les autres et lesdites jambes avaient fait le reste au cabaret de l’Artishow que les noctambules olé olé connaissent fort bien. Son numéro de Dalida était prisé : il attirait les badauds interlopes, son succès fut immense et sa devise Carpe diem appliquée à la lettre. Un séjour de vacances sur l’île de la Réunion fut déterminant.  Il y avait rencontré la jumelle de sa ville natale, mais sans château, sans cul-de-basse-fosse, sans pont-levis et sans schnaps et y avait vu un signe du destin. Il s’y était installé.

Dans cette maison qu’il avait transformée en auberge clinquante sous le nom de Café M. Verlaine, il bénéficiait d’une nouvelle identité, d’une nouvelle vie. Il sonnait doux comme le carambole , ce prénom de Maëva, entouré d’une aura tropicale, exotico-érotique de cocotiers, de plages de sable blanc, de douceur d’alizés et de femmes mystérieuses, végétales et court vêtues. Quant à Verlaine, son poème du Dahlia noir, « Courtisane au sein dur, à l’œil opaque et brun, S’ouvrant avec lenteur comme celui d’un boeuf, Ton grand torse reluit ainsi qu’un marbre neuf  » l’avait poignardé au cœur.

Ici, l’on ne vendait que les spécialités locales, du gratin chouchou accompagné de bière Dodo Lé La   en passant par le délicieux poulet bitume, accompagné de sa sauce rougail, des bonbons piment au civet de Zourite avant de terminer par le gâteau de patate douce. Et c’est justement alors que Sibelius savourait son dessert, que Flanagan portant perruque, collants noirs et chaussé d’escarpins rouges, tout moulé dans une robe à froufrous et volants du même ton, sortit de derrière la tenture du fond et se mit à entonner de toutes ses dents Il venait d’avoir 18 ans. Estomaqué, Sibelius sursauta à tel point qu’il tomba de sa chaise, en hurlant Noli me tangere ce qui le réveilla tout net. Il restait deux minutes avant leur rendez-vous. Il se commanda un troisième ponch en épongeant son front et attendit son collègue en souriant sous bure.


Ecrit à la sauvette et in extremis pour l’agenda ironique d’octobre sous le haut commandement de Carnets paresseux qui fut doux avec les retardataires. Merci le Dodo sans qui ce texte n’aurait jamais paru.

L’affaire se poursuit chez la Patte dans l’encrier, ici et les tribulations d’un Flanagan Johnson à la poursuite d’un bécasseau de 18 mètres et six…

 

 

 

 

A propos Anne de Louvain-la-Neuve

Anne d'un nulle part, ailleurs ici ou là, entre réel et imaginaire.
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24 commentaires pour L’Alea qui ne jacte pas, une enquête foireuse de Sibelius sous le tropique du Capricorne

  1. Ping : Une sale et moche affaire du style louche épisode II-bis : Un épisode collatéral où deux illustres détectives croisent chemin et fer dans un troquet d’une île lointaine… | Une patte dans l'encrier

  2. C’est vrai que, même s’il n’y avait eu le latin, cette messe jamais ne nous aurait Emm…!!! Épique, fort collégrammé, un soupçon d’archevéchisme et quelques pistils d’encens insensé et voilà Sibélius plongé dans une B… de M… d’enquête incroyable dont nul ne sait s’il en sortira un jour !
    Jamais dodo n’avait autant empêché FJ ET Sibé de femer les yeux !!
    Gageons que l’entrevue saura accoucher d’au moins une souris de 14 mètres sur 7 !!!

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  3. Se donner rendez-vous dès potron minet au café d’un minet patron, ça ne s’invente pas 😉
    Ils étaient bons alors ces ti-ponch sous le soleil brabançon ?
    Bises

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  4. Frog dit :

    Ah, c’est chouette ! Je sors de la lecture un grand sourire fiché en travers de la figure, comme d’habitude, avec l’envie de donner l’accolade à Maurice Maëva et de lever mon verre de Dodo aux lianes court-vêtues. 🙂

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  5. laurence délis dit :

    Des fois je me demande où tu vas puiser ton imagination 🙂
    Dans tout cas les sourires qui accompagnent ma lecture sont à chaque fois au rendez-vous. A la sauvette et in extremis te réussissent très bien aussi 🙂

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  6. Alors là, Anne, je te reconnais: un texte truffé de références et de fantaisie, d’humour et d’esprit. J’adore!

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  7. Leodamgan dit :

    Mais il me faudrait un dictionnaire latin avec toutes ces citations! Pas grave, j’ai compris le reste (enfin, je crois…) 😉

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  8. iotop dit :

    Bon jour,
    Un texte du mouvement 🙂 On ne s’ennuie pas, diantre 🙂
    Max-Louis

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  9. LydiaB dit :

    Comme d’habitude, je suis fan ! Encore bravo !

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  10. je note juste la bière du dodo et le petit punch… mais ce récit est fabuleux et mirrabilissime, plein d’échos, de chansons et de bonnes nourritures ! miam !! (et glou)
    merci Anne de l’avoir repêché ! il nous aurait manqué 🙂

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  11. Ping : M. Verlaine à Coupiac (lectures et votures) | Carnets Paresseux