Cette invitation au débotté tombait à pic ! Il mourait de faim : cela faisait deux heures qu’il avait terminé son jogging, ses haltères, ses abdominaux et son taïchi : Sibelius était en nage comme les écrevisses, aussi rouge et tout court-bouillonné.
Une douche au monoï s’imposait avant son rendez-vous. Il avait acquis à prix d’or ce produit merveilleux pour le corps, recette d’une sorcière bruxelloise, quelques touches de Tiaré, de l’huile raffinée d’albumen séché de noix de coco à maturité and the final touch, deux cils de génisse des alpages. Il termina comme toujours par un coup d’œil dans le miroir et trois tasses de thé au gingembre jurassien, une routine dont il ne pouvait plus se passer depuis ses rencontres écossaises (voir le n° 42 et 27,5 Sibelius sur le crannog !
Revêtu de sa chasuble brune et chaussé de ses inévitables sandales en cuir brut astiquées à l’huile de curcuma, première pression à froid, le moine Sibelius alias Petulo Clark glissa prestement le long de sa cuisse droite et musclée son arme favorite la .22 Long Rifle qui l’accompagnait partout (revoyez le 63e épisode, Sur filage à la Scala).
Il enfourcha sa moto de compétition et dévala les ruelles étroites et mal entretenues de La Pisseure où il séjournait momentanément
pour foncer toute bure dehors au Pelage pensant, l’auberge où son fidèle secrétaire lui avait donné rendez-vous. Il ne mit que 7 minutes chrono pour rejoindre Conflans-sur-Lanterne (juste à côté de Saint-Loup-sur-Semouse et de Betoncourt-Les-Brotte). Si d’aventure le lecteur à qui je vois déjà esquisser l’ombre d’un sourire veut vérifier sur Google map la réalité de ce parcours et l’authenticité de ces appellations, rien de plus facile, c’est en Alsace et je n’invente rien du tout, ce n’est d’ailleurs pas mon genre.
Après avoir attaché son engin, Sibelius entra et se dirigea vers la table où l’attendait patiemment devant sa tasse de Banania Laïonel Messaïe, le pro du kung-fu (remémorez-vous le 14e épisode). De toute évidence, ce régime lacté doublé d’exercices le rendait plus souple que la secrétaire de son rival de toujours Flanagan-Johnson.
Leurs rendez-vous bistronomiques contribuaient à agrémenter des journées souvent banales et répétitives, parfois d’un ennui confondant entre filatures, écoutes téléphoniques, sauts en parachute, poursuites, déplacements, rendez-vous, arrestations des malfrats, résolutions d’énigmes, j’en passe et des moins bonnes. Après tout, rien de tel qu’une andouillette après enquête.
Le patron de ce bistrot était connu pour sa tête de porc persillée et ses pieds de cochon à l’ail bouilli, ce qu’ils commandèrent. Ils dégustèrent leurs plats avec appétit avant qu’il ne lui tende son portable : il s’en empara puisqu’il semblât qu’une nouvelle mission impossible pour le commun des mortels qui n’était pas lui ou plutôt pour tout autre que lui l’attendait au pied levé. Avez-vous saisi qui est le premier « il » avant le deuxième « il » qui précède le troisième, ce « il » qui, sans doute, représente le « lui » dont on parle ? Sibelius menait une guerre ouverte contre l’utilisation anarchique autant qu’abusive des pronoms personnels non identifiés. Pour sauter du coq à l’âne, n’hésitez pas à vous replonger dans le n° 64, Culotte suédoise contre calotte lapone si vous avez un goût de trop peu, voire de déjà vu.
Il sourit de cet air entendu la veille, soucieux de cette future enquête alsacienne qui le déprimait. D’abord le temps était si gris, si froid, si venteux, si moche et ordinaire en somme, qu’il se sentait miné par le fond. Laïonel devait lui frictionner les doigts de pied tous les soirs avec une décoction de moutarde sautée au safran souveraine contre les engelures. (cf. le n° 5, Rince-moi le gosier avec un grog au pili-pili).
Au téléphone, un autre patron d’estaminet, le Sanglier au cumin, sanglotait en hoquetant. « Voilà deux ans que j’ai perdu mon grain de sel et ma femme, mes clients les plus fidèles, et même ma belle-mère qui m’aime bien menacent de me quitter. » La réputation de son établissement s’était envolée comme le pavot sur ses bretzels, qu’il devait fumer pour se consoler.
Le sanglier, spécialité que n’aurait en rien dédaignée un autre cuistot de poids, Obé le Lisse, s’était enfui de sa table séance tenante, dégouté d’être servi sans sa marinade de millets moulus. Ses magnifiques et dodues lewerwurst faisaient peine à voir, pantelantes, sans foie ni loi. Les rognons de palourdes briochés à la bourrache et vinaigre de gewurztraminer étaient devenus tout mous, raplapla. Son kouglof de martingale au piment d’Espelette que les végétariens s’arrachaient rendait l’âme en expirant. Quant au bäkeofe de strudel à la sauge et salsifis de sumac de Bornéo (à commander pour minimum 10 personnes), il sortait désormais carbonisé du four. Le pain avait perdu ses épices, et la kueche sa flamme. Une misère !
Cette nouvelle mission tombait comme une patate dans le grille-pain. Sibelius en avait enfin fini avec Jessica Vanille, la plus retorse des méchantes. Si le corps voluptueux de la belle qui sentait l’arnaque et le clou de girofle avait produit sur notre moine un effet auquel il s’attendait modérément, un coup de pied bien ajusté de l’espionne lui avait remis les idées en place. Avant de la saucissonner dans le garde-manger, juste sous les jambons à gauche des merguez, il avait dévoré quelques pipes d’Ardenne fumées au miel, qu’il affectionnait particulièrement. Puis il avait appelé les services secrets.
Dans le cas qui nous occupe, il allait devoir appliquer une mixture particulièrement délicate afin de résoudre cette affaire. Mais il lui suffisait de prélever les ingrédients qui s’imposaient à lui en les recoupant au milli poil avec un cure-dent, de porter le tout à la connaissance de ses petites cellules grises mijotantes, comme disait son ami Pierrot, de faire légèrement macérer en papillote avant d’écumer au tamis puis de rectifier l’assaisonnement qui s’imposait de lui-même. Surtout sans excès. Et le tour était joué. Du goût, du goût, du goût, comme disait Philippe Etchebest.
Ecrit pour l’Agenda ironique de septembre 2017 sous la contrainte épicée de Frog.
« En septembre, c’est imparable, les agendanautes s’intéresseront aux épices (large, on acceptera d’inclure les herbes aromatiques et les condiments). Feuilles, fleurs, graines, bulbes, écorces, poussières plus précieuses que l’or, destinations de voyages au long cours où il est de bon ton de laisser sa fortune ou sa peau, nous convoitons en elles le pouvoir de révéler, métamorphoser, vivifier, colorer, émouvoir (parfois au-delà du tolérable, héhé), de percer le tissu fade du quotidien d’une pointe adamantine qui fait cristalliser un instant corps et esprit (la mémoire tressaille). D’une nécessité de fait elles peuvent faire plus qu’un plaisir, une expérience spirituelle (tout dépend de celui ou celle qui est aux commandes, je vous l’accorde). Quand bien même on aurait les papilles timorées, on ne peut nier que leurs noms se récitent comme les escales d’une aventure onirique : safran, muscade, poivre, cannelle, moutarde, gingembre, cumin, coriandre, clou de girofle, anis étoilé, piments, curcuma, ajoutez ici ce qu’il vous plaira… Les résultats tomberont le 30 septembre, jour de mon anniversaire (pour moi ce sera un carrot cake overcannellisé, merci). P.S. : « Pass the flavour » était la phrase en usage à l’université de Durham où étudia mon cher et tendre, quand il s’agissait de se faire donner la salière. »
Eh bien ton texte ne manque pas de sel, ma chère Anne. Dans le ton, l’ironie se régale des situations burlesques. On en redemande ! 🙂
PS : Comme Laurent Turneer je trouve que l’expression : « Tomber comme une patate dans le grille-pain » est particulièrement drôle. J’aime bien tes trouvailles 😉
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Merci Laurence. J’apprécie ton commentaire qui fait très plaisir. A tout bientôt.
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Totalement cinématographique ce texte 💚
J’ai adoré le passage entre autres où Petulo Clarck fonce toute bure dehors …..
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A voile donc et à vapeur, toute ! Merci Valentyne !
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Que de délicatesse ! Toutes ces épices sont saint doute importées de Franche-Bonté.
Cette Licence poétique est grandement méritée, je suis sous les Carmes.
Belle pretzation.
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Il faut toujours doser ces petites affaires avant d’attaquer par le menu ! Merci Jo…
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😀
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Une question, chère Anne: Sibélius est-il beau gosse? Cela ne pourrait que pimenter encore davantage ton excitant récit!
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Et bien Mo, que s’est-il passé avec ton charmant patronyme ? Te voilà devenue une résidence ? Evidemment qu’il est beau, Sibé ! Faut demander à Laïonel qui lui trouve un petit quelque chose. Merci en tout cas, de ta présence en ma demeure.
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J’ai merdouillé. Il y a eu connexion indésirable avec un blog privé que je suis en train de faire et mon blog habituel.
Toutes mes confuses… 😦
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Oh Anne!!!!
« De toute évidence, ce régime lacté doublé d’exercices le rendait plus souple que la secrétaire de son rival de toujours Flanagan-Johnson »
Voilà un texte qui ne manque pas de piment!
Ta fantaisie foisonnante est toujours rire de mille détails-éclats-de-rire!
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Oh, Clémentine, merci pour ton commentaire qui est comme la moutarde, il me monte au nez ! Ca veut dire que ça chatouille et ça fait un bien fou !
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« Ta fantaisie foisonnante est toujours rire de mille détails-éclats-de-rire! »: ça ne voulait rien dire mais tu as compris! C’est que Sibélius me trouble, il faut dire!
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Ne t’inquiète pas, j’avais compréhendu !
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Boaahhh Alsace, Lorraine ou … et si la Franche m’était contée … on va pas en faire une raclette, quand même.
Tout cela m’a donné fort faim.
Excellente expression: Tomber comme une patate dans le grille-pain. 😉 Qui dit mieux ?
–> Tomber comme
* une noix de coco dans un mixer ?
* une cacahuète dans un presse ail ?
* une grenouille dans un saniboryeur ?
….
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Passe-moi l’expression ….
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Une mouche à la rappe à fromage ?
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Ah, que serais-je sans toi, mon Lolo, qui vins à ma rencontre, que serais-je sans toi qu’une clette au bois ronflant… Hein ?
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Je suppose que tu veux dire une « klet au bois Conflans » 😉 Bisesssss
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Hahaha !!! Mais moizôssi, rouge et court-bouillonnée ! Le menu du Sanglier au Cumin, mais ce sont tous les étés strasbourgeois de mon enfance lyonnaise, à quelques grains de sel près ! J’en étais à me désoler de n’avoir jamais eu la présence d’esprit de fumer des bretzels lorsque le pavot fit son effet. Je remercie Sibelius mille fois d’avoir bien voulu se charger de l’enquête pour moi et le prie de ne pas oublier la cannelle dans mon carrot cake. 😀
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Chère Frog, I’ll don’t forget de cannelle, I assure you because je déteste la cannelle in les desserts. But, in the couscous of in the hot salted dishes, ah ça oui. Je vous remercie beaucoup pour votre compte-rendu of my impossible mission. Best regards. See you très bientôt. Sibé.
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Mais cher Sibé, où l’aimez-vous alors, cette cannelle ?
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En bâton, c’est meilleur, et pas en bastonnade, of course ! Bien droite, en casserole ! Kisses, Sibé !
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🤣🤣🤣
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très bien. excepté que saint loup est en Franche Comté
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Ben oui, mais c’est une licence poétique ! Enfin, on reconnait ceux qui sont attentifs ! Merci chachashire !
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