Les saucettes de l’arssidussesse sont-elles sèses, arssi sèses ?*

Jumelées au hasard de la fabrication, deux chaussettes devisaient sur un fil au château. Fabriquées à la main par des brodeuses habiles, elles vivaient donc ici, c’était leur domicile. Tissées cent pour cent de beau coton peigné, elles toisaient monde entier d’une allure blasée.

  • Notre incomparable qualité fait un prix très exagéré, murmura la première avec un rien d’entrain.
  • Le desstin est clément avec les zens de classe, sussura la seconde, un seveu coincé quelque part dans l’éseveau
  • Il assure au client confort certes au prix fort mais un pied bien chaussé vaut spécificité, et le meilleur assurément ne se négocie point.

Un peu pimbêches, un peu revêches, elles faisaient aussi grand cas de l’élégance extra, préférées sans nul doute à bien d’autres comparses, chausses de laine ou même de soie, pas de comparaison, cela allait de soi.

A cette question saugrenue* que des générations avaient tenue, mentionnée à l’envi par cette zézayeuse, répétée mille fois pour faire rire l’assemblée, elle pouvait sans hésitation répondre par l’affirmation !

Ainsi passèrent encore quelques saisons de marche, quelques courses au pas,  toujours avec panache  car succédaient sans fin les lavages à la main, le séchage avec soin, les repassages au fer doux, des attentions délicates pour ces aristocrates.

Pourtant semblables en tous points, la sensibilité de l’une ferait, malheur, son infortune. Quand le drame survint, l’on ne l’attendait point. La chasse débuta, mais c’était bien le glas qui la mettra sous terre.

Talqués de frais dès l’aube,  les nobles pieds sculptés s’enfilent prestement dans la tige cintrée d’une botte en cuir noir qui leur sert d’avaloir. Cette fois cependant, un subtil frottement provoque dans la dextre un trou par attouchement. Voilà soudain que passe un gros orteil filasse, et l’ongle qui déchire la fragile élégance de cette snobinarde qui voyait devant elle toute l’éternité. C’est une absurdité !

La sanction fut sans appel, elle valsa à la poubelle !

Ouste !

  • Z’est inzouste !  s’écrie vainement l’inconsolable abandonnée dans le fond d’un tiroir à jamais exilée. Pleurant, geignant, plaignant cette destinée cruelle, ce  funeste coup du sort. On fait d’elle une paria, elle devient une proscrite dont plus personne ne veut.  Exit la favorite !

Mais c’était sans compter sur son rebelle cerveau en dépit du seveu semé dans l’éseveau. A l’aube, elle s’en fut, pour toujours, sans raffut. C’était la saison froide du grand hiver tenace et la voilà qui passe et repasse comme le fer … (mais ceci, en conviendrez, est bien une autre histoire). Elle parcourt le monde et voit cent paysages et beaucoup l’ont croisée sans s’en apercevoir

La voici qui parfois se pose, quelle folie, sur le bac à lessive ou par dessous le lit. Pour un temps la furtive s’abandonne au plaisir de faire râler l’hôtesse qui se veut vengeresse ! On la découvre encore après un match de foot, dans le vestiaire puant d’un club de sport suant. Plus rare sans conteste, le long d’une autoroute, ou sous l’arbre d’un parc, cela ne fait plus de doute : c’est bien elle qu’on appelle, trémolo dans la voix, la chaussette orpheline qui sera pour toujours une compagne mutine et malin le sans cœur qui pourra, geste preste,  s’en débarrasser sans culpabilité !

 


Ecrit sous la contrainte de l’Agenda ironique de juin 2017 lancé par Clémentine ici :

« Voilà un sujet court […]Mais si les objets, à leur tour, parlaient… de nous ? L’ironie est, comme toujours, un ingrédient fortement conseillé ! Une petite contrainte pour la route? Vous devrez glisser à l’intérieur d’un texte en prose plusieurs alexandrins disséminés ça et là, mais qui, mis les uns à la suite des autres, formeront un poème en rimes plates, croisées ou embrassées »

Et un tout grand merci au Dodo des carnets paresseux qui m’inspira le sujet dans un de ses commentaires toujours bienvenus.

A propos Anne de Louvain-la-Neuve

Anne d'un nulle part, ailleurs ici ou là, entre réel et imaginaire.
Cet article, publié dans Chroniques, Des textes pour sourire, Ecriture, Littérature, Nouvelles, est tagué , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

35 commentaires pour Les saucettes de l’arssidussesse sont-elles sèses, arssi sèses ?*

  1. Alphonsine dit :

    Incroyable, ta chaussette parle. Mais pourquoi donc les chaussettes esseulées que je cherche vainement ne poussent-elles pas de cri pour se faire repérer ?

    J’aime

  2. laurence délis dit :

    Trouvé chaussette unique parmi les 8 stères de bois livrés ce matin. (véridique)
    Merci Anne, j’ai bien ri ! 😀

    J’aime

  3. Ping : De l’objectivité de l’objet, suite (quand les urnes parlent) | Carnets Paresseux

  4. jacou33 dit :

    Je viens de lire une petite annonce: Chaussette esseulée, pas de première fraicheur, cherche sa pareille, pour rapprochement chaleureux, expérience en raccommodage souhaité.
    C’est peut-être l’abandonnée? Va savoir.

    J’aime

    • Va savoir… faut faire gaffe aux arnaques avec les petites annonces. Elle a faussé son profil peut-être, c’est une milliardaire en quête d’un type honnête, c’est une perverse à la recherche d’un traine-misère… va savoir. Merci Jacou…

      J’aime

  5. Ping : L’agenda ironique de Juin – Les votes! – Les narines des crayons

  6. Valentyne dit :

    Trop bien 🙂
    L’histoire, les alexandrins et le seveux sur la languette 🙂
    Bisesss

    J’aime

  7. LydiaB dit :

    Nous partîmes cinq cents mais sans aucun renfort
    Nous nous vîmes seulette en arrivant à bord…

    Z’ai adoré et je regarderai mes saussettes autrement dorénavant.

    J’aime

  8. Leodamgan dit :

    Je suis toute attendrie par cette pauvre petite chaussette!

    J’aime

  9. jobougon dit :

    Poèmenade à pied d’unijambiste, je propose d’aller se chaussetter en unissant les unicités plutôt que d’envisager la chirurgie amputatoire. Quelle excellente idée que celle d’aller associer les pieds de rimes aux chaussettes désassorties.
    Comme quoi ne pas être inspiré d’entrée presse les neurones du côté lumineux du jus de la chaussette.

    J’aime

  10. Vous les avez si joliment évoquées que toutes les esseulées risquent de bientôt sonner chez vous!

    J’aime

    • Ah non, la porte leur sera fermée définitivement : j’en ai soupé de leur présence inopportune. On en découvre encore l’un ou l’autre, planquée sous les armoires des années après avoir fichu sa pareille à la poubelle. Soupir ! J’ai des copines qui n’achètent que des chaussettes de la même couleur pour éviter ce désastre… Mais ça, c’est pas drôle, n’est-ce pas Henriette ?

      J’aime

  11. Jeanine Van De Wiele dit :

    Très sympa ce texte, Anne! L’expérience des chaussettes orphelines se cache dans ces mots, très rigolo! Belle journée à toi, l’écriture est un bon moyen pour se réfugier momentanément dans un univers de fantaisie bien utile pour affronter les réalités de notre monde parfois ingrat. Bisous Jano

    >

    J’aime

  12. Ping : Agenda Ironique de Juin- Les textes! – Les narines des crayons

  13. Ah ah ah! Merci pour cette savoureuse aventure de chaussette! Il eût été dommage qu’elle ne se glisse pas entre les planche de notre petit théâtre ambulant!

    J’aime

  14. 'vy dit :

    J’observerai mes orphelines différemment dorénavant. A la recherche du seveu dans l’éseveau ? Pariez que j’y penserai.

    J’aime

  15. Frog dit :

    Pour surmonter la panne sèche, quoi de mieux que des bas d’archiduchesse ? J’aime rire et j’ai été servie ! 🙂

    J’aime

  16. Y’a pas à dire c’est nickel(é) ! Quel pied ! 😉

    J’aime

  17. Elle l’a fait ! Elle l’a fait ! et d’une plume agile !
    Mais dites, qu’agite-t-elle ? et de quoi s’agit-il ?
    L’épopée des chaussettes, voilà ! C’est chose faite.
    C’est terrible et rageur, c’est fort, ça n’est pas bête
    cela abat les murs et arrache le toit :
    déchiffrant le silence, chacun en reste coi.
    tel le gouffre songeur qui penche sur l’abîme,
    et l’abysse applaudit qui comprend « abyssal »
    alors que le récit narre des habits sales.
    Bref, ne glosons pas tant où il y a douze pieds
    à l’assaut la chaussette repart d’un bon pied !
    🙂

    J’aime

    • Et d’une voix splendide, elle te dit merci
      Oh grand agitateur, oh inventeur express
      Car si le train s’ébranle, si l’neurone se presse
      C’est à n’en point douter qu’elle avait le feu aux fesses
      Et à qui dédier tout ce salamalec ?
      Au Dodo qui d’un coup mit l’chantier en chaussettes,
      pour l’Agenda du mois c’était inespéré
      car pour un petit peu, c’était aux oubliettes
      qu’il lui fallait ranger toute son historiette.

      Aimé par 1 personne