14e épisode – Les enquêtes de Sibelius – « Pont Tificade à Pont dit Chéri » qui a été également publié sous le titre « Penche-toi si tu peux à Panama »

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Trois semaines déjà que Petulo Clark alias Sibelius respirait « l’air pagne de la campure », comme  disaient ses ex-collègues lors de leur formation d’élite à l’école de police de Bertrix en Ardenne. C’était le temps des copains et de l’insouciance : tous se cherchaient un destin. Pas lui, il l’avait trouvé : à part ses cheveux sur la tête, il n’avait jamais regretté son engagement du côté obscur des forces de l’ordre et Dieu sait (les lecteurs aussi) combien de litres d’eau avaient coulé sous les ponts qu’il avait traversés, parfois fait sauter à la dynamite, découpés à la tronçonneuse, escaladés en bure, mais jamais, jamais oubliés qu’ils soient aériens, suspendus, levis, des Arts, Neuf ou à relier (cf. n° 17, Carlo Pont-hi contre Pont-Pourri).

Allongé dans un hamac aux couleurs hippies, bercé par la brise impeccable,  il fixait le ciel immensément azuréen qui s’étalait par-dessus ses voutes plantaires aux orteils particulièrement grecs. Sa respiration lente, profonde répondait à une zénitude du corps et de l’esprit que des années de pratique avaient forgée et dont il avait appris à maitriser tous les aspects : relaxation, décontraction, acceptation, ablution et conjugaison (relisez le n°12 : Pâles Pitations et strapont-hein sur canapé).

Un pigeon se mit à roucouler et il sut à cet instant précis, au moment même où l’animal lui atterrit sur les abdominaux en béton armé,  que les vacances étaient terminées. Le moine enleva le papier qui entourait la patte de l’oiseau et prit son briquet bic J26, un modèle vintage particulièrement recherché par les collectionneurs. Il enclencha la mollette dans un geste vif et plaça la flamme derrière la transparence virginale du billet blanc dont il déchiffra en souriant l’encre indélébile. « On » l’appelait à une nouvelle mission impossible. Avant de le bruler, pas le pigeon mais le papier, il saisit sa carabine .22 Long Rifle dont il venait d’astiquer le mécanisme et enfila la chasuble brune sur son corps nu et musculeux.

Enfourchant son vélo  Trek 29’’ 52 vitesses (l’X-caliber 9, encore de stock), il se rendit immédiatement à son bureau. Il avait reçu 104.568 curriculums vitae suite à l’annonce parue dans le magazine Enquêtes privées de chez nous autres. Il cherchait un secrétaire depuis 14 numéros mais jusqu’ici, les 2153 candidats retenus et qu’il avait auditionnés en pure perte et sans fracas s’étaient révélés ou trop petits ou trop gros, ou  trop secs ou trop longs, ou pas assez, ce qui était pire.

Contre toute attente, un type largement baraqué, aussi tondu que lui, et  dont les yeux verts pétillants et limpides tel un lac de montagne  l’observaient d’un air appétissant, l’attendait devant la porte vitrée et sans rendez-vous. Soudain tendu, Sibelius s’apprêtait à le mettre dehors manu militari quand l’autre gugusse prit la position Utkatasana avant d’enchainer sans un mot les 25 postures chaudes du Bikram Yoga, dont celle du triangle, pas facile surtout en short,  en passant par le cobra, le lapin et la demi-lune, un classique que peu de connaisseurs pratiquaient à la perfection,  hormis Sibelius qui la réalisait sans même y penser. Alors que l’individu enchainait l’Ardha-Masyendrasana, Sibelius comprit que leur destinée à tous deux venait de basculer en vol planant. Laïonel Messaïe devint à la seconde et sans qu’une parole ne soit échangée le secrétaire très souple du célèbre moine enquêteur. La belle Ingrid de son rival de toujours Flanagan-Johnson pouvait aller se rhabiller fissa.Spine-Twisting-Pose[1]

En silence, Sibelius tendit son GSM dans le prolongement immédiat de son bras droit musclé à son désormais partenaire-pour-toujours. L’autre s’en saisit de la main gauche et, comme dans Le Gendarme se marie, Baiser-Louis-De-Funes[1]un éclair irradia les deux membres en présence scellant le pacte de non-agression réciproque et vice versa. Ainsi naissent les ponts sans mousson, les viaducs sans les ducs, les connexions sans les gnons. La suite des aventures de l’agent top secret serait inter pénétrable de celle de son acolyte comme l’ail dans le gigot, le raz-el-hanout dans le couscous, le rhum dans le baba.  La porte vitrée du bureau de Sibelius se referma dans un claquement sec. À ce moment extrêmement précis de 10 h 54’ 14’’, le téléphone sonna et c’est Laïonel qui s’en saisit et dit…  ce que tous attendent, mais que nous ne pouvons révéler ici car nous sommes dans un récit d’espionnage de haute voltige et pas question de dévoiler le pont aux roses à moins que vous ne versiez, sur le compte mentionné en fin de chapitre, le montant qui correspond aux ponts de vin des indics traditionnellement impliqués dans toute affaire qui se respecte ou pas, bien entendu. Un bakchich de 150 euros est également accepté.


Ecrit pour l’agenda ironique de mai, sur le fil du rasoir entre deux ponts, et sous la houlette de Camille et d’Emilie. Ici.

Les aventures de Sibelius, 63e et 64e épisodes

ici : https://annedenisdelln.wordpress.com/2016/04/23/64e-episode-les-enquetes-de-sibelius-culotte-suedoise-contre-calotte-lapone/

et là : https://annedenisdelln.wordpress.com/2016/04/04/63e-episode-les-enquetes-de-sibelius-fil-a-plomb-a-la-scala/

 

 

A propos Anne de Louvain-la-Neuve

Anne d'un nulle part, ailleurs ici ou là, entre réel et imaginaire.
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65 commentaires pour 14e épisode – Les enquêtes de Sibelius – « Pont Tificade à Pont dit Chéri » qui a été également publié sous le titre « Penche-toi si tu peux à Panama »

  1. Ping : 33e épisode – Les enquêtes de Sibelius – Passe-moi la flavour. | Anne de Louvain-la-Neuve

  2. Nico dit :

    Je n’ai pas compris toute l’intrigue mais peu importe car je me suis laissé entraîné par la musique des mots. Un régal !

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  3. Ping : Dense-avec-la-loupe | Une patte dans l'encrier

  4. Ping : « Un fil  de la patte | «Une patte dans l'encrier

  5. patchcath dit :

    Ironique on peut le dire. Super!
    et bravo chère Anne

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  6. Bonsoir chère Anne, et toutes mes félicitations pour avoir été élue à organiser l’Agenda de Juin. Un bouquet de roses d’une Belette !

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  7. Ping : AGENDA IRONIQUE DU MOIS DE MAI : LES RESULTATS | Les Petits Cahiers d'Emilie

  8. monesille dit :

    C’est dramatique quand on commence à éclater de rire à la première ligne, on a du mal à aller jusqu’à la fin tant et si bien qu’ on n’a plus de mouchoir, tu devrais te retenir un peu ! pitié pour nos glandes lacrymales qui aiment bien glander comme leur nom l’indique ! Tu officies de manière bien peu catholique pour nous contraindre ainsi à nous gondoler comme de vieux cartons mouillés ! remarque tant que c’est les yeux ! parce qu’avec la bure sur le corps musculeux, ça pourrait, bon je vais me taire en plus je dois passer en dernier dans les commentaires, je voudrais pas faire tâche, oh, bon, bon, je m’enferre :D:D Je vais faire un peu de yoga pour me détendre !

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  9. Rx Bodo dit :

    Où vont nous emmener les montagnes russes de votre écriture? Au prochain épisode, j’imagine, et bientôt, j’espère.

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  10. Valentyne dit :

    Mazette 🙂 quel festival !
     » Ainsi naissent les ponts sans mousson, les viaducs sans les ducs, les connexions sans les Gnons  »
    👍

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  11. laurence délis dit :

    Eh bien je n’ai pas suivi les aventures de Sibélius mais celle-ci donne le ton ! 🙂 un rythme qui ne laisse pas place à la monotonie. Quelle verve !
    Merci pour le moment de lecture appréciée !

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  12. jacou33 dit :

    Juste une question, les orteils de LAïonel sont-ils particulièrement grecs, eux aussi?
    Mis à part ce détail, j’adore;

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  13. emilieberd dit :

    Encore un délice à lire, cette nouvelle aventure de Sibélius! Un Pont à relier…Mouhaha!

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  14. Où Sibelius rencontre son alter ego, voilà qui promet bien des secrets à ne pas taire!

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  15. Ping : Ponts dans l’eau | L'impermanence n'est pas un rêve

  16. Un bakchich pour obtenir les détails de l’enquête? Pfff… Non, finalement Sibelius se suffit à lui-même!!!

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  17. Ping : AGENDA IRONIQUE DU MOIS DE MAI : LE VOTE | Les Petits Cahiers d'Emilie

  18. Ponté divine, mais c’est bien sûr ! Au coeur de l’affaire des Papal Papers, le Panama est en réalité un paradis ponti-fiscal et le cabinet d’avocats Mon sac / Fonds SECA une couverture pour tes activités de phishing sur internet.
    /Poney d’âne de Pont à selles, qui cultive ses propres pontimarrons bio.

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  19. Leodamgan dit :

    Une photo de son corps nu et musculeux est-elle disponible?
    Il y a bien celle short, mais bon… 😉

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  20. Asphodèle dit :

    Ha hi ho mais c’est encore du haut vol, du grand ADLLN !!! Je suis scotchée ! Nan mais 150€ hé ho c’est du racket, de l’extorsion de fonds (petit pâtre à pont) ! Je vois que l’Alsace a eu un pouvoir régénérant sur les neurones de l’auteure et je n’ai qu’un mot : vive l’Alsace et la Belgique qui j’en suis certaine mérite (largement) de gagner cette session ironique de l’Agenda nomade… 😀 ! J’adore aussi l’idée d’une recontre duelliste sur un pré, à l’aube, entre Flanaghan et Sibélius et Ingrid et le nouveau Yogi ! Ce serait kama-sutresque !!! 😀

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  21. La Licorne dit :

    Toujours aussi délirant et inventif…Anne.
    A raison de trois idées loufoques par ligne…
    on finit la lecture épuisés…mais heureux ! 🙂

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  22. Ping : L’agenda ironique de mai : par ici les textes ! – Camille Lysiere

  23. jobougon dit :

    Ben didonque ! Entre dimanche avant la messe et dimanche après la messe, je me demande bien ce qu’à pu dire comme sermon le curé pour que le pont débordât autant de débordements de mots aussi bien ajustés que découpant au yoga des figures de style patentées. si ce n’est pas de l’ironie, ça, alors je ne sais pas ce que c’est. En dehors du vitriol, je ne vois pas. Et si je peux me permettre, je propose une solution tampon, la soude caustique. Cela évite les tressautements nocifs à la santé de la partie des participants liquidés.
    Veux-tu bien me faire passer le lien du 12ème épisode, s’il te plait Anne, il manque cruellement à ma collection.
    Il faut dire haut et fort ce que tout le monde pense tout bas, pour un texte de dernière minute, tu es la reine, ne nions pas cette illustre qualité chez toi. On devrait réduire encore les délais, ça deviendrait carrément euh carrément je ne trouve pas le mot tellement.
    Ce pigeon est intrigant au possible. D’où vient-il, et où retourne-t-il ?

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    • Le problème avec les inventions coup-de-têtes, c’est qu’il faut inventer. Alors l’épisode 12, je n’ai encore aucune idée de quoi il sera fait mais dégommer les participants à la soude caustique, voilà qui siérait à l’ennemi public numéro 1 et peut-être à moi aussi ! Alors, en ce qui concerne la ponte de dernière minute, j’en suis encore la première étonnée ! Comme quoi, les miracles existent, je viens de les inventer. Le poinçonneur des lilas à la sauce pont-bougonnesque, c’est pas mal non plus comme impro !

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  24. lydia66 dit :

    J’adore ! Voilà, tout simplement !

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  25. Peut on proposer une pinte de bière plutôt qu’un pot de vin ? Belge naturellement, pas le vin, la bière, étant entendu que le belge est malheureusement allergique au jus de raisin.

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  26. J’aime et j’adore !!! Du pont-pourri (jeu de mots que j’eusse adoré inventé en amont de l’aval) aux orteils aquilins en passant par ce pigeon dont on ignore ce qu’il est advenu et si c’est une posture yogi ?
    Quant à Flanagan… Pardon !!!… L’illustre et unique Flanagan-Johnson qui ne saurait tarder à revenir, il s’offusque de l’idée que quelqu’un intime à sa secrétaire d’aller se rhabiller !!!!

    Elle se rhabille si il veut !!!!!!!

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  27. Et dire qu’il y en a qui disent qu’elles n’ont rien à raconter et qu’elles passent leur tour ! pfuuuu :))

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    • Oui, mais c’était dimanche et après la messe, en priant pour un miracle, elle s’en fut auréolée de la sainte protection et demanda au Seigneur de lui accorder l’inspiration nécessaire afin de concrétiser la sacralisation de l’agenda, ferme et définitive. Je suppute même que d’aucunes auraient raccourci les délais pour liquider une partie des participant(e)… Mais les on-dit !

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