64e épisode – Les enquêtes de Sibelius – Culotte suédoise contre calotte lapone

Sibélius

La station polaire finlandaise Bötjorn 34-Pflüg (livrable en kit dans les 3 jours si de stock) dans une Laponie nord-nord-est glaciale dormait encore du sommeil du juste. Il était midi, heure locale inuit, confirmée par le baromètre approximatif de la salle technique. Aucun soleil de minuit n’illuminait l’étendue parfaitement plane sur laquelle ce centre de haute technologie était posé comme une excroissance incongrue dans une noirceur que n’aurait pas reniée un dictateur digne de ce nom.

Sous son plaid en laine mérinos Knäglut (25 euros), debout devant l’entrée principale, tonsure exposée aux vents, Sibelius contemplait l’immensité de neige vierge, absolument blanche, plus blanche que le nouveau Dash, mais moins vierge que la Vierge tout de même, agenouillez-vous bande de mécréants.

La disparition inquiétante de la calotte glacière, malgré un père Noël à demeure, 35687 rennes et 756 monticules, avait alerté le shérif du comté et un ordre de mission impossible lui était tombé dessus. Arrêtons le massacre, sus à la fonte ! Il avait donc accepté cette enquête sans coup férir, car on ne rigole pas de tout avec n’importe qui, d’autant que, comme le dit très bien un proverbe kenyan : « Si le babouin pouvait voir son derrière, lui aussi rirait ». Encore un contrat alléchant qu’il ne pouvait pas refuser. Ainsi débutait sa 64e mission.

Souvenez-vous que dans le volume précédent (n°63, Sur filage à la Scala) il retrouvait et finissait sa petite affaire avec Eurydice la violoniste perdue. Sibelius avait agi comme tout bon espion qui se respecte avec tact, diplomatie, efficacité. Il n’était pas moine pour rien. Il y avait mis du sien. Elle y avait mis du leur, notre, votre, leur, nos, vos, leurs, mais on s’égare, pas question de revenir sur les difficultés de la langue alors que la leur venait d’arpenter toutes les clés des gammes, sol majeur comprise, et cela sans plus d’arabesques que nécessitent ces opérations à cœur ouvert. L’âme du violon en était restée coite. C’est dire !

Son scribe fort actif Laïonel Messaïe, totalement rasé comme lui, hormis deux mèches en accroche-cœur sur les tempes, lui avait fait parvenir en temps réel et pas artificiel un message d’extrême urgence, code « Abricot – tango – Charlemagne. Il a inventé l’école, je répète – il a inventé lé-go-le» ce qui pouvait se traduire par « vas-y fissa, faut pas trainer ».

Vingt ans déjà que Sibelius avait rencontré puis engagé son splendide secrétaire si dévoué (cf. N° 14, Penche-toi si tu peux à Panama). Vraiment d’une souplesse à toute épreuve, qui renvoyait sur la touche la belle et moins souple Ingrid de son rival Flanagan Johnson, Messaïe se démenait pour son patron qu’il aimait comme l’abeille le pistil d’une Héritage, variété David Austin (les connaisseurs apprécieront). Ainsi, s’était-il littéralement et concrètement vendu en chair et en os pour lui obtenir un siège de first class dans le premier Airbus venu pour la Finlande hostile.

Une fois débarqué, Sibelius avait foncé droit devant, malgré de nombreux tournants en angles verticaux, vers la station polaire où l’attendait une équipe sous le choc dans une ambiance ahurie. Le moine avait déboulé en scooteur des neiges ! Cela les avait tous laissés pantois, quelle audace, quel courage, avait murmuré la responsable en chef Janna Bristoantolayleinenkirjallisuustiede que tous appelaient Bristol.

La dernière fois, un anglais qu’on ne connaissait pas, avait investi les lieux en automobile de luxe, une pure Aston Martin Vanquish V12 Aston_Martin_V12_Vanquish[1]

de couleur ambre (prétendait le morveux, car il était daltonien) équipée standard de pistolets automatiques à air co et missiles thermopiles pilotés par ordinateur, fonction d’invisibilité et pneus à clous rétractiles pour conduite sur glace. Bref, un joujou d’un autre calibre que ce scooteur des neiges à deux balles monté par un Charlot déguisé en glaçon. Mais enfin, l’individu avait été annoncé comme l’as des as ! « On » n’avait pas précisé de quoi. Ils ne se battaient pas dans un roman à l’eau de source de Barbara Cartland  web-cartland-pa[1]mais dans un polar spécialisé espionnage. Je suis ici, moi auteure, contrainte de confier à mon cher lecteur que le mot anamorphose que je dois utiliser dans ce texte vient d’être casé à l’instant et ajouterai-je, passons au suivant.

On avait dû abreuver le moine surgelé de triples schnaps/vodka frappée. La soif ne le quittait plus et lui ne décollait plus de la réserve d’alcool. Deux jours plus tard et malgré un mal de tête aussi envahissant que les manœuvres secrètes de son ennemi juré Le Nombre, il avait la solution finale : pour contrer le dégel de la calotte glacière, il suffisait de l’empêcher de fondre, affirmativement évident. Les vapeurs des cocktails finlandais lui avaient mis la puce à l’oreille et il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Sibelius n’était pas de cette sorte de curé qui fait fi de tout bois surtout s’il est en bure.

Une fois Bristol informée des détails, ils sellèrent le scooteur et s’en furent dans un bruit assourdissant de pétarade, lui devant, elle derrière : c’était un homme après tout, un barbouze azimuté redouté mais galant. Le froid décuplait ses capacités testostéroniques neuronales. Pour l’occasion, il troqua sa chasuble contre un pantalon de ski Nördfrida (épuisé), un anorak Mökelby + capuche Onkelbröm (85 euros) et tous deux s’engagèrent sur la banquise fondante au péril de leur vie et de celle de la demi-douzaine d’ours blancs qui les pistaient pour en faire des Fish sticks.

Un proverbe circule depuis lors dans les chaumières, isbas, iglous en nouvelle orthographe, penthouses, HLM, maisons, châteaux en Finlande et du monde entier « Si la banquise avait dégelé, la face du monde en eut été changée ».


Ecrit pour Les plumes d’Asphodèle (954 mots) avec les consignes d’employer ces mots : abeille, arabesque, ambre, arpenter, automobile, abricot, actif, azimuté, s’agenouiller, anamorphose, aimer, accroche-cœur, ajouter, affirmativement, approximatif, alléchant, ambiance, ahuri, agir, abreuver. + « La soif ne la (le) (me)* quittait plus »

Et petit challenge supplémentaire avec le défi uchronien des impromptus littéraires

A propos Anne de Louvain-la-Neuve

Anne d'un nulle part, ailleurs ici ou là, entre réel et imaginaire.
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46 commentaires pour 64e épisode – Les enquêtes de Sibelius – Culotte suédoise contre calotte lapone

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  3. Si Belius nous était compté, j’en redemande… Effectivement, après vérification sur le site, le pantalon de ski Nördfrida ne se trouve plus qu’en 26 et en bleu…
    Message perso d’Ingrid à Laïonel Messaïe : « Peut-il faire ça ?( contorsion)… » Apparemment, elle aurait mal pris sa soit-disante sur-plus que-souple-souplesse légendaire !

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    • Il faut le dire en 26 comme en 100 entre 5 yeux que l’auteure ici ne relate que la vérité ! Si Ingrid a des vapeurs, laissons-là souplier dans son coin car qui va souplement ménage ses arrières, nous disait Laïonel Messaïe que je viens d’avoir par télex. Je dois aussi avouer, chère Patte, que j’ai tout lu à propos d’André le caillou : franchement, l’Académie française le guette.

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  4. Leodamgan dit :

    Ça alors… Sur quelle plate-forme de vente en ligne trouve-t-on tous ces ébouriffants vêtements?
    Par ailleurs, j’ai bien apprécié « Héritage, variété David Austin »!

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  5. emilieberd dit :

    Excellent! Bravo! Hilarant, rythmé sans compter le mot anamorphose si bien amené😄

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  6. Je l’ai déjà dit chez les impromptus, mais j’attends avec impatience les 62 épisodes précédents. Il y a par là une joie d’écrire qui, pas bizarrement du tout, se mue en joie de lire. La suite ! et les 62 avants-suite !

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  7. Warf Laïonel Messaïe, grand prophète sur le terrain, bible en main, ballon au pied et …
    Pour le reste, j’essaie encore d’imaginer les tournants en angles verticaux … 😉

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  8. etienne Hachez dit :

    Je ne sais pas rester à ne rien faire. Alors, je fais la sieste. Une philosophie qui ne mène peut-être pas bien loin, mais, au moins, jusqu’à son lit.

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  9. jobougon dit :

    J’en ai la tête qui tourne, la lecture est concentrée, rare, énergique et anamorphosique, tout à fait à l’image de l’écriture.
    Je digère et reviens goûter aux stickfischs une fois conditionnés sous cellophane.
    J’ai l’impression d’être encore dans l’œil du cyclone en écrivant ce commentaire.
    Que Sibellius me pardonne si je déteste le froid. Même en solde, les articles ikéa au montage facile sont totalement incomparables à l’exercice de style que ce 64ème épisode nous offre, Anne, j’admire ton sens de la technicité.
    Je n’aurai donc qu’un mot à la bouche. Brrrhhh ! 😉

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    • Très chère Jo, merci de ton enthousiasme Värklud (jamais soldé). Comme les ronds de jambe sont réciproques à ton égard, que nous échangions de larges salutations me convient parfaitement. Rester « amies » comme sur Facebook, virtuellement, prend tout de même un sens un peu plus large et tangible, bizarrement. Je ne sais pas pourquoi mais j’en ai le sentiment.

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      • jobougon dit :

        Très chère Anne, sentiment ostangiblement partagé. Je ronds de jambe dans l’enthousiasme car j’ai de cette amitié une haute opinion, d’où ma postulation au club. Je n’irai pas par quatre postillons pour dire que grâce à internet, ces rencontres label qualité schnaps/vodka sont, oserais-je dire le qualificatif, merveilleuses. Un peu comme dans le pays d’Alice, quoi !

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        • Ben oui, c’est very strange, ces rencontres virtuelles : on se sent à la fois proche et lointain. C’est d’autant plus bizarre que quand quelqu’un manque à l’appel d’un agenda par exemple, il y a comme un vide. Mais se dire aussi qu’on peut disparaitre du jour au lendemain sans provoquer plus de remous qu’un questionnement de souris, c’est perturbant !

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  10. monesille dit :

    Malgré mon allergie chronique aux mots qui comportent un¨sur le a (cela provoque une amnésie immédiate et durable des vingt lignes suivantes !), j’ai fini par retrouver mes accroche-coeur bien accrochés à un rire, oh, Dalisque !

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  11. Valentyne dit :

    Muhaha un texte qui coule comme un roman à l’eau de source et qui « enquête sans coup fait rire »
    🙂
    Tiens et si on allait chez Ikea aujourd’hui ?
    Bisessss

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  12. celestine dit :

    Tu vois que j’ai su tenir ma langue, moi qui avais lu ton texte en avant première… Je le trouve toujours aussi jouissif, vu de ce côté !
    A très bientôt Anne
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  13. Ghislaine dit :

    Houlala l’histoire dis donc !! Les prix avec pour le meme prix rires !!!!!!!!!!
    Bises

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  14. Quelle verve!
    Et pour Sibelius, un autre proverbe:
    « Un buffle sans queue, c’est Dieu qui lui chasse les mouches. »

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  15. Asphodèle dit :

    Rhaaa chaque épisode est un « monde » ! Quelle rigolade ! Dis-moi tu as un abonnement IKEA pour connaître aussi bien les prix des breloques venues du froid ??? 😆 Mais tu sais que la face du monde A changé, la Banquise A fondu !!! Peu importe je l’adore ce Sibélius et c’est sûr qu’il n’a pas failli à l’honneur des moines (qui lèvent bien le coude) en ingurgitant sans trembler les breuvages locaux ! 😀 Bravo pour ce nouvel opus et j’espère que tu nous concoctes déjà un autre épisode ! 😀 Bisous chère Anne de LLN et bonne fin de week-end ! 😀

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    • Merci chère Asphodèle. Je vais me pencher sur toutes les perles reçues grâce à ce déjanté concours qui n’en est pas un ! C’est chouette de découvrir mille imaginaires pour quelques mots imposés. Je me régale vraiment des bons moments en perspective. Merci donc, grande prêtresse, comme t’appellent certaines. Mais ne deviens jamais un gourou, sinon Sibelius va montrer le bout de sa bure !

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  16. lydia66 dit :

    Je suis fan ! Encore bravo !

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  17. Ping : LES PLUMES 51 – LES TEXTES EN A COMME AVRIL ! | Les lectures d'Asphodèle, les humeurs et l'écriture

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