63e épisode — Les enquêtes de Sibelius – Sur filage à la Scala

le moine

Le salon dormait dans la pénombre quand soudain la bougie mit le feu aux rideaux qui s’embrasèrent comme une torche. En un rien de temps, enroulé qu’il était dans sa bure, le moine se déshabilla fissa et totalement nu, saisit sa carabine et tira au travers de la fenêtre. Le visage ricanant qui s’y affichait un instant auparavant disparut dans une giclure de sang. À ce moment précis, Sibelius se réveilla « Force m’est de constater que si l’habit ne fait pas le moine, le moine ne fait guère l’habit non plus », soupira-t-il.

Ainsi débuta la 63e aventure palpitante de notre héros.

Le moine Sibelius alias Petulo Clark mais rien à voir avec le Clark Kent, journaliste et superman, était à présent connu tout autant par son ample robe d’un brun franciscain, que pour lui-même, avec sa tonsure très in et sa redoutable carrure d’athlète du clergé régulier. Il représentait la quintessence du détective privé, l’as des as des enquêteurs, plus fin limier qu’OSS 117, mélange subtil du sexy SAS et de l’intrépide Bob Morane, toujours prêt en moins de temps qu’on ne récite un pater noster à résoudre les plus difficiles des enquêtes. Il connaissait toutes les ficelles d’un métier appris sur le tas des infamies innombrables du genre humain. Autrement dit, fallait pas lui en raconter, ni des vertes, ni des rouges, ni des pas mures ! 100 % de réussites bio sans pesticides, tels étaient les résultats de ses prestations, chères mais justes !

Allongé de tout son long sur le sable fin de la plage d’Ostende, Sibelius respirait à pleins poumons l’air marin iodé. Le sentiment du devoir accompli d’un homme, un vrai, un pur, un dur fût-il moine accompagnait ces quelques jours de béance dans un emploi du temps raide comme la justice et plein comme une andouille. En comptant ses doigts de pieds en éventail, qu’il avait au nombre de dix à sa plus grande satisfaction, dans le prolongement immédiat de deux mollets costauds et poilus, il se sentit nimbé d’une béatitude quasi parfaite, auréolé par sa chasuble terriblement mal repassée.

Soudain, son iPhone se mit à sonner. Il ne connaissait que trop bien cette petite musique de la scène d’un film qu’il avait visionné huit fois (rien que d’y penser, il en frissonnait) le tila tilili tililili d’un téléphone portable égaré dans les crottes d’un T-Rex. La voix de basse mélodieuse de son scribe, super gentil, hyper professionnel, et aussi souple, voire plus qu’Ingrid, la secrétaire de son rival Flanagan Johnson lui susurra à l’oreille le mot de passe qu’il connaissait par cœur, c’est parti mon (gros) kiki ! Les affaires reprenaient.

Par-dessous la chasuble, tout contre sa cuisse musclée, il sentit sa .22 Long Rifle au garde-à-vous. Il s’empara d’un cure-dent et remit son sixième sens en place à toute vitesse. Après avoir toussoté, il se leva lentement et scruta de ses petits yeux bleus inquisiteurs le pourtour giratoire de 360 degrés. D’un geste sec, il afficha en gros plan sur son écran sa nouvelle cible, brune, perçante comme une mèche de 5 mm pour béton armé, qu’il dévisagea en connaisseur. Ce serait à n’en pas douter une de ces missions problématiques où des talents protéiformes seraient requis.

À son actif (cf. volume 52 : Sous tif à Hong-Kong), la recherche et la découverte du fameux sourire perdu de l’héroïne chinoise Yoko Tissu-No s’étaient clôturées par le succès que l’on sait. Cette femme belle et sensuelle s’était fourvoyée du matin au soir dans les complications de ses théorèmes vitaux. Lorsqu’elle rencontra le moine, elle n’était plus que l’ombre de la moitié du tiers du quart de ce qu’elle avait été. Mi-pantelante, mi-lessivée, son cœur tremblait, criblé des rhumatismes causés par les multiples fractures de ses chagrins d’amour. Sibelius avait eu fort à faire. Il y avait mis du corps.  Enfin, sur le visage de l’impassible asiatique, le sourire énigmatique et argentique qui faisait d’elle la perle d’Orient, ce sourire qu’elle avait égaré quelque part dans les méandres océaniques de son existence, avait resurgi. Pour Sibelius, cela avait été un des challenges les plus éprouvants de toute sa vie. On ne travaille pas sur la Chine comme sur le Luxembourg et il avait fallu toute son intelligence et une ténacité d’ours polaire pour y arriver. Il pouvait s’en vanter n’en déplaise à ceux qui prétendent que l’humilité vaut mieux qu’orgueil et préjugés.

Il avait été chanceux aussi l’année dernière à Marienbad quand il put mettre la main sur le vague à l’âme de Zorba Lemec, l’Albanais le plus redouté du quartier sud (voir le n° 61, Du Rif Hifi pour Mafiosi).  Le gangster venait de s’emparer des ferrets de Madame Lafiore, la maitresse du Président mais cela ne l’avait pas rendu plus gai pour autant. Recherché par toutes les polices de la planète, il était tout simplement désespéré de désespoir et avait engagé le moine pour récupérer son punch dissipé, depuis le temps, dans les braquages, les chantages, les agressions, les assassinats, la violence, les extorsions de fonds, les enlèvements, ce qui, vous l’aurez deviné j’espère, ne mène guère à la satisfaction du reste cependant. Aussi, Sibelius s’était-il mis en quatre pour repêcher au plus profond de lui-même les valeurs énergétiques de ce Parrain que tous craignaient comme la syphilis sur le bas clergé au moyen-âge et à la renaissance. Le redoutable et redouté Albanais avait retrouvé la pèche et la frite (à l’huile, pas à la graisse de bœuf, c’est trop gras) : il bondissait de joie à la plus grande frustration de tout le monde mais pas de Sibelius qui une fois encore avait rempli son contrat.

Ce n’était pas de la petite bière, même belge, cette nouvelle enquête. Il s’agissait ni plus ni moins ici de préserver la tête dans les étoiles d’une violoniste milanaise archi célèbre, qui jouait de son stradivarius comme certains au tiercé. Il connaissait la fille pour lui avoir sorti les vers du nez. C’était en 86, il lui restait quelques séquelles à l’os, surtout le gauche. Il y avait des siècles mais elle n’avait pas changé. Sa mission, s’il l’acceptait sans qu’elle s’autodétruise pour autant dans les cinq secondes :  se maintenir en équilibre sur le fil du rasoir sans la perdre des yeux ! S’il avait appris une chose, une seule dans sa longue vie, c’est qu’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre surtout en jouant à la pelote basque. Car la reine Mathilde (l’ancienne, pas la nouvelle) sa laine et sa tapisserie, sans blague, c’était de la rigolade. Pénélope Joli Cœur aussi. Thésée dans le labyrinthe avec son fil d’Ariane, ou de qui que ce soit, il en ricanait dans ses moustaches qu’il n’avait pas. L’invention du fil à couper le beurre, ça, on ne la lui faisait pas non plus !  Le moine Sibelius faisait fissa de l’histoire et de ses dessous futiles et mal ficelés. Il rajusta les cordons de sa chasuble et de ses bourses qu’il emmenait partout, bien garnies (y avait eu de la marche depuis le père d’Assise) et au nombre de 6 au cas où. Il saisit sa carabine d’un bras autoritaire et quitta la plage d’Ostende : oui, c’était parti mon kiki et rira bien qui rira le premier !


 

Écrit pour les impromptus littéraires de cette semaine et pour le fil de l’agenda ironique du mois de mars de notre Dodo des carnets paresseux (mon œil !) avec l’aide bénévole de 1211 mots que je remercie pour leur généreuse participation.

 

 

A propos Anne de Louvain-la-Neuve

Anne d'un nulle part, ailleurs ici ou là, entre réel et imaginaire.
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59 commentaires pour 63e épisode — Les enquêtes de Sibelius – Sur filage à la Scala

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  3. Il s’en passe des chose sous une robe de bure! 😀

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  4. monesille dit :

    Pas trop présente ce mois-ci, je profite de la recap du carnet pour lire, et qui vois-je en bonne place ? La plage n’était pas déserte et dans le vent du nord des flonflons de Sibelius nous racontait des fantaisies, pas des fadaises 😀 petite bière tu dis, petite bière? Quelle rigolade !

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  5. Ce texte a du corps, y a pas à dire et comme l’a si justement noté Licorne qui, depuis le temps qu’elle mène son bout de légende dans nos contrées, a eu le temps de lire et relire tout San-A, il y a de la truculence et de l’esbaudissement Belmondesque dans ce héros de peut-être-qu’un épisode qui valait le coup qu’on l’écrivasse ! Alors Merci, Anne !!!!

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  6. Asphodèle dit :

    Alors j’attendais la récap’ du Dodo pour en lire quelques uns qui ont échappé au Reader de WP ! Bah ça alors ! Quelle verve Anne DLLN ! Quel talent ! Et en plus j’ai relevé deux titres de livres « Orgueil et Préjugés » « L’année dernière à Marienbad » et d’autres ont dû m’échapper ! Je suis d’accord pour une suite ou un roman car ce moine a une présence fantastique, un charisme plus puissant que James Bond, il faut en faire quelque chose ! 😆 Ne pas l’abandonner sur une plage d’Ostende (même détendue ou d’ailleurs) !Et si les cours de la Bourse sont élevés, alors là on touche le jackpot ! Bravo Anne, vraiment ! Je suis fan !

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    • Chère Asphodèle, mille mercis. Je m’agenouille de gratitude devant ce dithyrambique hommage. Sachez que l’azimutée vous porte bien haut dans son cœur. Il y avait un autre titre « La plage d’Ostende » d’une de nos auteure belge Jacqueline Hartman. Mais c’est joliment trouvé ! Alors, j’attends les plumes de ce soir pour me creuser le ciboulot et enchainer mais je ne sais pas encore si ce sera une suite ou pas. Même pour moi, le suspense reste entièrement entier !

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      • Asphodèle dit :

        Et Dieu sait (enfin non y sait pas, je lui cause pas mais c’est pour dire) que j’adore la littérature belge mais je la découvre et suis carencée…Hormis Guy Goffette que je pratique dans le texte, les autres me sont presque inconnus, sauf la chapeautée médiatique qui écume toute rentrée littéraire digne de ce nom ! 😆 Une suite ou kêkchoz qui le mette en scène (et en action, y’a du potentiel testostéronique), je l’adore ce moine ! 😆 Comme vous chère Anne, comme vous !!! 😉 Et le suspense va se décanter, je le sens ho que je le sens bien !!! 🙂

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        • J’ai les mêmes problèmes que vous, chère amie, avec la chapeautée et celui dont on ne doit pas prononcer le nom car il en a au moins 1000. Prions tout de même, une fois n’est pas coutume, pour que ne tarisse pas les lettres de l’alphabet qui nous permettent de tisser ces liens, de nous entretenir en ce moment et de rigoler entre nous. Mais chuut, c’est un secret.

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  8. Nico dit :

    Il y aura une suite? Ça pourrait être sympa à développer en nouvelle, voire en roman. Un petit côté San Antonio dans l’écriture, c’est vraiment sympa à lire!

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  9. ça y est, j’ai trouvé le temps de passer et point ne le regrette. Je pense que quelques contrepêts m’on échappés (ou alors sont-ils simplement évoqués et laissé à l’imagination des lecteur/trices ?)
    Juste un point d’histoire : point de syphilis au moyen-âge, les petits matelots d’Amérigo ne l’ayant pas encore rapporté d’Amerique jusque dans nos contrées (enfin me semble) ; à la Renaissance, en revanche, boom sur la patate, la tomate et le mal génois (en échange, variole, alccol et christianisme).

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    • Si contrepet il y a, ils le sont à l’insu de mon plein gré, cher Dodo. Et l’expression susmentionnée n’a jamais été contrôlée (par moi) : elle circule en Belgique, comme l’alcool depuis toujours mais j’ai rajouté la Renaissance, c’est plus « in ». Mille merci de cette relecture, rare (j’entends que les gens relisent rarement) et toujours appréciée. L’agenda se porte bien, il me semble, et tout va bon train. Au plaisir de vous lire dans l’assiette ou ailleurs.

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  10. Ping : La terre a bien changé – patchcath

  11. patchcath dit :

    Plein d’humour pour ce Si bel épisode, j’en ai perdu souvent le fil pour prendre le temps de rire. Merci chère Dame de Louvain

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  12. emilieberd dit :

    Mouhaha Petulo Clark! Excellent! Un vrai régal!

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  13. La Licorne dit :

    Quelle verve ! Quel style !
    Si Frédéric Dard était encore parmi nous, il en serait jaloux…

    Bravo…et Si…bélius nous est encore conté dans les prochains temps, je suis preneuse…

    (P-S : Je t’avais déjà laissé ce message hier…mais j’ai l’impression qu’il s’est égaré…dans les limbes d’internet…alors je récidive…)

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  14. Valentyne dit :

    J’adore les aventures de ce moine (Petulo Clark ) et aussi le sourire perdu de l’héroïne chinoise Yoko Tissu-No
    Joli texte toujours sur le fil du rasoir 🙂

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  15. martine dit :

    1. Ta publication m’avait échappée
    2. J’aime, de toute façon
    3. Je reviendrai lire avant que le pétulant moine ne revienne à Ostende
    4. Fissa
    5. De toute façon, je vais aimer

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  16. Ping : Suivre les fils du fil d’avril (agenda ironique) ! | Carnets Paresseux

  17. A quand Sibelius sur grand écran?? James Bond peut aller se rhabiller (en bure)!

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  18. Fin limier ce Sibelius dans cette partition « Finne » écrite sur le fil à plomb d’Arie-Anne, ex-footballeuse: « un concert d’os pour vîts oblongs en rut mineur (op.69 je présume) » à s’en délier les bourses.
    Allez, gros manant, à tantôt !
    PS: Tendres pensées d’ici.

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  19. Leodamgan dit :

    Je connaissais « la vérole sur le bas-clergé » mais pas la syphilis, ce que c’est que le progrès, tout de même…

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  20. jobougon dit :

    Il doit bien avoir des actions en bourse pour avoir autant de succès dans ses missions, ce bon Sibelius. Quelle pétulance ! Diantrement et jouissivement remarquable. A en contrepéter de joie ! 😉

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  21. héberlué, je reviendrais commenter sobrement quand je serai dé-coisé :))

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  22. L'Ornitho dit :

    Héhé !! Il s’en passe de drôles de choses à Ostende (où on tire pas que l’otarie!), avec de drôles de zigues …

    J’adore les titres des épisodes précédents 😉

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  23. Mireille dit :

    Heureusement que nous avons l’écriture et nos jardins. Bisous apaisants. Mimi

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  24. « On ne travaille pas sur la Chine comme sur le Luxembourg » contrepèterie ?

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  25. Je m’y perds un peu parfois (n’ayant pas lu tous les épisodes précédents…), mais toujours avec le sourire aux lèvres !

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  26. Dominique dit :

    Je te lis ds le train de retour et je me suis régalée de ce billet !!!

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