La bonne samaritaine – épisode 2

la solution c'est le bouquet

Une semaine après l’expérience des charriots de supermarchés que j’ai relatée dans l’épisode 1, je fus la proie d’une nouvelle tentation,  preuve s’il en est que chassé le naturel, il revient au triple galop.

Je revenais du lac, nez au vent et les cheveux itou,  toujours accompagnée de mon fidèle Milou, quand soudain la laisse du chien se détendit brutalement. Je bandai mon biceps d’acier trempé et ancrai solidement mes deux jambes dans le sol au risque de me faire arracher de terre pour voler dans le talus. J’y suis habituée, il m’a déjà fait planer plus d’une fois, ce sale cabot, mais pas au sens drogué du terme :  il déteste toutes les formes animales de la création comme moi la langue-de-bœuf sauce madère et démarre au quart de tour, une bombe ! Ici, Bibil. Couché !

Ce qui présente le même effet que de vouloir éduquer une colonie de fourmis à contourner un morceau de sucre. Mais je les vois, là ! L’instinct sans faille de mon chasseur, tout bâtard qu’il est, les a repérés. Au milieu des quelques troncs malingres qui bordent la route, à 30 mètres à peine en contrebas de la maison, deux magnifiques et dodus lapins, un brun et un blanc, grignotent quelques herbes.  Oh, mignons, proies faciles, à la merci de la première mâchoire féroce poilue, à portée de gueule vorace de tueurs en série illimitée comme mon chien, les innocents !

Action. Réaction.

D’abord, je cours à moitié pantelante dans cette rue pentue pour enfermer la bête dans le garage. Ensuite, je repars à la  vitesse de Buzz l’éclair en contresens cette fois de la montée. Et ils sont toujours là ! Ils n’ont pas bougé, quelle inconscience. Sont-ils blessés ? Non, non, ils ont l’air bien vivants. Je freine et m’approche à pas de loup, ce qui est difficile car je suis loin d’avoir sa souplesse et son style. Des branches craquent sous mes kilos, mes pieds se tordent sur ce sol irrégulier. Les lapins tournent leur jolie petite tête vers moi et les voilà qui, d’un commun accord,  se débinent au ralenti sur leurs pattes à ressort, tout en souplesse, en élégance, en douceur, si légers… crac, ce qui n’est pas mon cas, avec leurs belles et longues oreilles qui se balancent en rythme.  Dieu qu’ils sont trognons mais véloces, ces petits salopards ! Qu’est-ce qu’ils fichent là dans ce bois, venez mes jolis, mince, c’est dur à attraper des lapins, zut encore raté, non d’un schtroumpf, ils s’enfuient, manqué, les pauvres petits, abandonnés, perdus, sans famille, ça y est j’en tiens un !

Mais, cher lecteur, je dois l’avouer un peu honteusement, la loi de la sélection naturelle en partie basée sur quelques critères tels que l’appât du gain la dernière fois ou l’esthétique cette fois ont joué. J’ai d’abord attrapé le lapin blanc, magnifique, qui, sans trop de conviction pour la fuite, était pourtant bien leste. Quant au lapin brun, il est allé se planquer sous un amas de branches au milieu du talus. Rien à faire. Je m’en occuperai plus tard.

Action, réaction.

Armée de mon lapin fort mécontent, je passai d’abord la Rampe du Val au peigne fin sonnant à toutes les portes afin de trouver les propriétaires certainement morts d’angoisse à la simple pensée du sort affreux et plus que probablement funeste de ses petites bêtes égarées dans ce monde de brutes. C’est qu’il se débat l’animal ! Mais c’est mal connaitre une Ardennaise dont l’atavisme surgit au moment opportun. À croire que je suis douée pour ça, je le maintiens bien fermement contre mon ample poitrine et par la peau du cou comme mon grand-père me l’a appris juste avant de le leur tordre. Personne donc dans cette rue. À croire que tout le monde travaille ! Sur ce, une main crispée sur mon précieux butin, j’ouvre de l’autre la porte d’entrée de ma maison et cours chercher une manne à linge que je retourne illico sur le lapin penaud dans la pelouse de mon jardin.

À présent, au tour de l’autre, le brun. Haletante, je parcours le petit bois, bernique! Pas plus de lapin dans les bosquets que de bosquets dans les lapins. Il est certainement loin à l’heure qu’il est ou mort peut-être ? Il faut pourtant que je monte dans mon atelier ! J’ai du boulot, moi !

C’est à ce moment précis que le téléphone sonne. Mon fils m’informe qu’il rentre par le train de l’internat,  tout de suite ? un jeudi, quelle idée ! Il souffre peut-être d’une rechute de pneumonie. Il  débarque  à midi, dans cinq minutes,  viens me chercher maman. A peine l’engin raccroché, à nouveau la sonnerie du téléphone. Mon mari revient à midi trente pour ne pas manquer la répétition de la chorale. C’en est fini de mon travail. D’abord, en vitesse, je dois m’occuper de ce fichu lapin sinon il va crever car il fait torride. Mon chien dans la maison griffe les carreaux de la véranda. Il vient de repérer l’intrus dans le jardin. Quoi, que vois-je ? Une bestiole à bouffer ? Il lui ferait bien son affaire après le rat  de la potiche de fleurs sur le muret il y a trois mois. Ici, c’est du tout cuit. Trop facile. Non, non et non ! Tu ne l’auras pas, Bibil, ce lapin est placé sous ma haute protection. Mais, sous sa manne en plastique, le pauvre, il doit transpirer. Ça transpire un lapin? Il ne veut pas des carottes que je lui donne, ni du bol d’eau. Je le lâche dans le jardin clôturé et démarre à toute vitesse pour aller chercher mon fils à la gare,  que j’emmène illico chez le médecin (non, ce n’est pas une pneumonie).

Le gamin en sécurité,  la seconde partie de mon enquête de voisinage tourne en eau de boudin. Avenue Sainte-Gertrude, personne ne connait de propriétaires de lapins. Je dépose mon numéro de téléphone chez l’épicier ouvert 24h/24, interroge les étudiants des kots, sonne toujours en vain à toutes les portes. Je suis en nage. Il fait trop chaud. Le chien guette la faille dans mon système de protection des lapins en détresse. Mon fils survit à sa baisse de tension sur le canapé en regardant la télé. Je surveille d’un œil la bestiole qui en aucun cas ne doit dévorer de l’aucuba, dont j’ai tout de même trois plans hautement toxiques dans le jardin. Quant aux deux brins de basilic que j’ai eu tant de mal à faire pousser, à ma ciboulette et à la coriandre qui ne va pas trop bien non plus, pas touche, sale bête. Pour le moment il déguste une ortie, bien, je n’ai pas de contre-indication.

Réaction, action.

Je repars en direction de l’Avenue du Grand Cortil et je repère tout de suite un jeune garçon, cartable sur le dos, qui a l’air d’habiter le coin et n’a pas l’air pressé. Enfin ! Oui, oui, il y a là une maison dont les propriétaires ont quatre, cinq lapins, super, il est sauvé…Quoi, ces lapins vivent en liberté ? Gloups ! Pas possible? Où ça, donc ? Dans le bois, derrière leur maison, mince alors. Car ce bois derrière chez eux, c’est celui qui est devant ma maison, en contrebas, précisément là où le matin même je me suis échinée à le capturer. Une étudiante en jogging de course s’arrête et me confirme la chose. Oui, les lapins courent en liberté dans le coin, sur la route, dans les jardins avoisinants. Tout le monde les connait et tout le monde s’en fout.

Je fais tourner la bobine du film en sens inverse. J’enferme à nouveau le chien dans le garage, je cours après le lapin qui se cache derrière mes haies, je le prends par la peau du cou, il se débat à nouveau, je redescends la rue, regarde autour de moi, non, personne ne me voit, je viens de perdre le titre de sauveuse de lapin pour celui de maraudeuse et m’en vais redéposer la bête, enlevée le matin même précisément à l’endroit où je lui mis la main au collet. Et surprise… Qui est-ce que je trouve pour l’accueillir ? Le lapin brun.  J’ai des poils de lapin blanc partout sur mes habits et déjà une réputation de voleuse de caddie. A présent, j’ai celle de  kidnappeuse d’animaux domestiques. Avec tous ces prétextes imbéciles qui m’empêchent de travailler, je perds un temps fou et je me déconcentre. Ma peinture n’avance pas. Ça tombe bien, je cherchais justement des prétextes pour éviter la confrontation directe avec mes pinceaux. Pour ça, tout est bon, c’est comme dans le cochon.

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A propos Anne de Louvain-la-Neuve

Anne d'un nulle part, ailleurs ici ou là, entre réel et imaginaire.
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2 commentaires pour La bonne samaritaine – épisode 2

  1. etienne Hachez dit :

    En quelque sorte, c’est le coup du lapin, qui, pour le coup, fait bien mal au cou.

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  2. Rx Bodo dit :

    Une histoire trépidante. On saute à chaque ligne, comme un lapin.

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