Fan du Guide du Routard ? Louvain-la-Neuve est faite pour vous, avec ses rues étroites pour, dit-on, empêcher les manifestations, des dédales casse-tête pour tout facteur novice, aux parfums de bière ou pire (uniquement dans certains coins, rassurez-vous) et son histoire qui fit sensation en son temps. La fessée étant à l’ordre du jour dans les médias, rappelons que les Wallons s’en sont vu distribuer quelques-unes par les Flamands de Leuven et renvoyer manu militari dans leurs pénates : Walen buiten ! On s’est tiré vite fait avec pertes et fracas, un pavé volé de leur Grand-Place pour tout trophée.
Des marais et des plaines venteuses et glacées cédés par Ottignies ont accueilli les réfugiés, pionniers d’un nouveau genre sans charriots, avec pour tout bagage, la moitié de la bibliothèque de la cité médiévale, mère bâtarde qui abandonnait aussi la moitié de ses enfants ! La première faculté à s’y implanter nageait dans la boue. Les cerveaux scientifiques serrés dans les bottes en caoutchouc des ingénieurs suivaient les cours en grelotant et en serrant les dents. J’entrai en fac de philo et lettres la première année de son achèvement et elle fut la dernière à s’incruster sur un site déjà propret qui pouvait penser en toute tranquillité sans devoir chasser le grizzli ou tuer le sanglier pour alimenter ses cellules grises. Les routes étaient quasi asphaltées, quelques commerces troglodytes nourrissaient les prospecteurs et les dalles incomplètes montées sur pilotis où nous luttions contre le vent faisaient de cette ville piétonne un curieux phénomène architectural plus tout à fait en devenir.
À l’origine, ce territoire vierge à peine exploré n’était composé que d’étudiants et de quelques habitants, profs ou pas, franchement couillus, vraiment idéalistes, têtes pensantes d’un avenir plein de promesses. C’était un fameux pari cette ville nouvelle ! Imaginez de jeunes couples dont les enfants jouaient sur les toits des maisons en construction posées comme des dominos les unes appuyées sur les échafaudages des autres. Tout était à faire, tout à rêver, et pour nous, les étudiants, un terrain de jeux pareil, c’était du délire !
La Baraque est la spécificité d’un des plus vieux quartiers de Louvain-la-Neuve, le Biéreau, qui en compte quatre autres, le Centre urbain, l’Hocaille, Lauzelle et les Bruyères. Ceux de la Baraque, on les nomme Baraquis : ils y font régner leur joyeux fourbi anarchique. Pas besoin d’un billet d’avion pour voyager en terre inconnue. Entre la roulotte de toutes les couleurs, la iourte pas tout à fait blanche, la cabane de guingois ou la caravane en réparation, un chat errant et flegmatique compose avec l’environnement bordélique et le foutoir ambiant, car ici règne la liberté de penser des poètes du désordre et des m’as-tu-vu de la roulotte. Quelques statues d’église dans une potiche en plastique signalent vaguement l’appartenance de ces êtres à une histoire. Pour le reste, des têtes de trolls sculptées dans la terre glaise d’une façade en torchis roupillent d’un œil, surveillants précaires de ce monde à part.
Mais jusqu’à quand ? Jusqu’à quand alors que le prix des terrains crève les plafonds et les plus optimistes des pronostics ? Jusqu’à quand les autorités qui ont depuis longtemps vendu leur âme au diable en cédant d’abord les parkings souterrains gratuits puis la jouissance de toutes les terres aux plus offrants, jusqu’à quand autoriseront-elles ces hors-la-loi à vivre hors du bois dans une marginalité de bon aloi ?
Le chantier méga gigantesque du futur ( ?) RER a débuté et il éventre. Entre le trou de la dalle et le trou de la balle qui enterrera cet entre-deux-mondes, minuscule semble le pas et comptées les heures des habitats alternatifs et des jardins partagés. Une masse écrasante de sable sépare désormais telle une énorme cicatrice suintante ces deux mondes inconciliables. Pas un être sensé n’aurait parié sur cet avenir-là ! De nouveaux terrains de culture vont être adjoints comme terrains à bâtir, la friche devient loft pour friqués et tout rentre dans l’ordre du bien pensé et du bienpensant, car le maitre mot, c’est l’argent. Ceux qui y sont se disent, quel placement nous avons pour les générations futures, ceux qui n’en sont pas lorgnent de loin l’inaccessible. La poule a pondu de l’or mais l’âne aux écus des rêves, lui, est mort et enterré.
P.S. Plusieurs mots sont écrits dans la nouvelle orthographe, charriots avec deux « r » en est un comme iourte sans y. Vous devinerez bien les autres…
C’est fou, en effet, comme notre société a vite fait de faire rentrer dans le rang, d’une manière ou d’une autre (souvent d’une autre, d’ailleurs), les ceusses qui souhaitent vivre autrement que dans les carcans que l’on a créé pour eux. Dès que l’on sort des rails, les barrières nadar se lèvent pour définir la zone d’anges heureuses (oui, les anges n’ont pas de sexe et au lendemain de la journée de la femme j’ai décidé de leur donner celui de la mienne). Quand aux Baraquis, il vont bientôt s’y retrouver, eux, entre les rails. Tout sera fait pour ne pas les expulser. Non, ma bonne dame! Ce ne serait pas catholique, ça. Mais quant à les faire partir de leur propre chef, ça, si c’est leur décision … Et ce sera tout bénéfice pour le bas (de) laine de ceux qui en ont déjà mais qui en veulent toujours plus. Et la boucle (de LLN) sera bouclée!
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Cette nouvelle orthographe, un peu déroutante, a décidément beaucoup d’ambitions.
Insidieusement, elle tente même d’investir les cultures voisines (Wallen buiten …).
Le plus amusant, c’est que le « Walvis » n’est en fait qu’une grosse baleine.
😉
PS: Dommage pour la baraque 😦
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