Pensées extérieures d’une femme d’intérieur

5.pensées extérieures

Femme au foyer, femme d’intérieur, femme entretenue ? Comment définir ce mode d’existence obsolète et suspect dans un siècle où le profit a pris la place d’éthique existentielle ? Paraître ce qu’on n’est pas, dissimuler ce qu’on est, brouiller les pistes pour égarer le basique qui sait mieux que tout le monde et donner le change, voici ma mission (là, on entend la musique de Mission impossible).

Quand l’homme de ma vie rentre le soir, bien essoré par son boulot et les bouchons du Carrefour Léonard, il s’installe à table. Le spectacle peut commencer : les lumières s’éteignent et … je vous arrête, le striptease, c’est pour plus tard et c’est privé.

Voici la suite des aventures incroyables de la femme d’ouvrage polonaise du mardi, Anna, que je résume pour lui en essayant de ne pas confondre les histoires, car avec Pernilla, c’est autre chose. Donc Anna, rappelle-toi, qui a abandonné ses quatre enfants à Varsovie, les pauvres, et son mari alcoolique, un je-m’en-foutiste brutal et pervers, a retrouvé l’amour, oui, oui. Elle a rencontré en faisant les ménages, un gentil dentiste, tu sais, celui de la Verte Voie, accroché à sa fraise et terriblement solitaire. Le coup de foudre. Elle peut maintenant voir l’avenir en rose : d’abord, faire venir en Belgique ses quatre enfants, dont un handicapé, la polio, pas de vaccins là-bas, ensuite, avoir des papiers, engager un tueur pour liquider son mari, devenir l’assistante du dentiste, son rêve absolu, détartrer les dents et curer les abcès, c’est tout de même mieux que de nettoyer des cabinets, me dit-elle en roulant les « r ».

Quant à Pernilla, celle du jeudi, pas question que tu arrives à l’improviste, car avec son mètre 82, son sourire suave de gourmande nordique, ses jambes kilométriques et son tour de poitrine parfaitement anormal et avec ça, un cul d’enfer qui danse en passant l’aspirateur, non pas question ! D’ailleurs, je ne te mens pas, André, cette garce est moche à crever, elle louche si, si et ses seins sont faux.

Ne bouge pas : je sors la blanquette. Intervient alors Mario le traiteur du coin, un drôle de coco celui-là, qui ne sait jamais s’il doit ouvrir sa boutique ou la fermer. Puis, d’abord, Mario, ça fait un peu mafieux non ? Aujourd’hui, il n’y avait que du poisson, rien d’autre. Bonjour le choix ! Enfin, ses poissons sont frais c’est déjà ça. Menu du jour : saumon, purée, salade mêlée et Beaujolais nouveau. Tu n’aimes pas le poisson ?

Ce n’est pas tout. Dans notre immense bonheur de nantis, nous disposons et ça, c’est une chance incroyable à Louvain-la-Neuve, d’un elfe de maison, Dolbi junior, qui a quitté Poudlard tout exprès pour notre avenue Ste Gertrude et qu’on se partage entre voisins. Tout ce que Anna, Pernilla, Mario et les autres n’ont pas le temps de terminer, lui, le fait : il achève le linge restant, pan ! , fignole le lit et la lessive, entretient les carreaux et liquide en deux minutes les poussières impertinentes et les toiles d’araignée magiques qui réapparaissent aussi sec dès qu’il a le dos tourné. Il range les vaisselles, les armoires et la boîte à outils, trie les vis et les clous. Il lui arrive même de tondre les cheveux des gamins. Il va au Colruyt, gare l’auto dans le garage, court à la cave ranger les surgelés, fait trois pains, écosse les pois et épépine nos raisins de table tout en épluchant une orange, le tout en dansant le tango et en chantant Marinella pour nous distraire. Il s’occupe des devoirs des gosses, du rendez-vous chez l’orthodontiste et d’acheter les abonnements de train. Le seul inconvénient c’est qu’il refuse de jardiner. Le personnel, ma petite dame, n’est plus ce qu’il était.

Avec tout ça, quand j’ai fini de raconter mes couillonnades et d’inventer des vies pour le distraire, je suis crevée moi. C’est dit, demain je prends une cuillère d’huile de foie de morue et tout en balayant ce que les autres auront laissé traîner, je réfléchirai à la suite. Car la femme d’intérieur s’éteint au crépuscule comme la chandelle pour se ranimer dès potron-minet, en super forme et vous narrer la suite : qui va entrer en scène ? Un voisin psychopathe, tondeur de pelouse, qui va liquider Mario d’un coup de tournevis (à croix) ? Un yogi japonais adepte des côtes à l’os et laveur de voitures qui tombe amoureux fou de Pernilla ? Une touriste américaine astigmate et lesbienne qui séduit ma voisine l’Ukrainienne russophile de la rue haute et va compromettre aussi l’Anna du dentiste à la fraise ? C’est du costaud ! L’idée vient en dormant, l’accent se peaufine, se travaille, quelle vraie vie d’artiste, mais comme disait Charles Aznavour : ils ne m’ont jamais accordé ma chance, j’avais du talent, ce n’est pas ma faute, c’est celle du public qui n’a rien compris.

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A propos Anne de Louvain-la-Neuve

Anne d'un nulle part, ailleurs ici ou là, entre réel et imaginaire.
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2 commentaires pour Pensées extérieures d’une femme d’intérieur

  1. Astrid de LLN dit :

    C’est rigolo, merci Anne

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  2. Mieke dit :

    Bon, Annetje! pas sûr si je reviens à LLN? dis-donc, cela change vite et fort ces jours-ci; finalement pas la peine de partir pour un « autre monde », tout est là, chez toi!! Même que les Pélicans se déplacent pour venir te voir! … alors, cette suite?….j’en tremble le déjà! : )

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